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La
légende du Baboin de Chazay |
Chapitre VI
Thibault d'Albon, co-seigneur de Châtillon et de Bagnols, confia alors son fils Amédée à Jehan du Mas, afin qu'il fit ses preuves de hardi chevalier. La chevalerie d'origine militaire constituait une sorte de fraternité, elle ne comportait ni rang ni grade. Tous les chevaliers étaient égaux : tout chevalier pouvait théoriquement faire d'autres chevaliers ", c'était une institution prestigieuse. Princes et rois désiraient être armés ; un même idéal était offert au noble, riche ou pauvre, fait de vaillance et de générosité. C'était la coutume d'attacher un jeune damoiseau à un seigneur ou à un chevalier de renom, qui avait conquis sa gloire avec ses éperons d'or. Amédée ne pouvait avoir meilleur maître. Il apprit auprès de Jehan à manier la lance et l'épée, il s'endurcit aux plus durs exercices. Par ces activités incessantes que la guerre provoquait, il maîtrisa la fatigue et acquit la force nécessaire pour porter les armures de ce temps, vivre la plus grande partie de sa vie à cheval_ dormir le plus souvent à la belle étoile dans des camps de fortune, peu dans un lit. |
Durant les longues soirées d'hiver, dans les grandes salles des châteaux où étaient suspendus les armures et les souvenirs des hauts faits d'armes, les chevaliers racontaient aux plus jeunes la vie généreuse des leurs, leurs actes de bravoure. Parfois des troubadours de passage payaient l'hospitalité du seigneur en chantant la générosité des chevaliers, l'amour pour leur dame. Ainsi les jeunes damoiseaux étaient instruits et se préparaient à vivre la tradition chevaleresque. Fidélité, bravoure, piété, honneur, gloire, mépris de la souffrance et de la mort, aide aux faibles et à l'Eglise, ne point tuer le vaincu sans défense, ne point participer à une trahison et à un faux jugement (dans l'impossibilité d'agir ainsi, se taire ou se retirer) telle était l'éthique de la chevalerie. Pour la jeunesse de cette époque douloureuse, elle offrait l'apothéose d'une vie chargée de sens. Vivre l'ordre dans ce grand désordre. Force et beauté intérieures donnaient la liberté.
Amédée fut accepté dans la chevalerie. Il guerroya sans cesse au service du roi de France. Issu d'une très noble famille chevaleresque, comptant parmi ses ancêtres des croisés, des chevaliers au Temple, sa fidélité à la cause royale l'entraîna jusqu'à Azincourt.
En Lyonnais le proverbe " Noble comme d'Albon " sera souvent cité.
Le pays était presque en entier sous la domination des Anglais. Le duc de Bourgogne était toujours allié à eux. Le Lyonnais resta fidèle au roi. Le duc de Bourbon, réunit sous sa main le Bourbonnais, le Forez, le Lyonnais et la sirerie de Beaujeu. Sous sa bannière, avec tous les chevaliers, il porta la guerre au-delà de notre contrée, jusqu'en Dordogne.
Quelques années de calme permirent d'ensemencer, de cultiver et de remplir greniers et réserves.
L'abbé d'Ainay, Dom Barthélémy, en profita pour réparer Chazay en puisant sur les ressources du monastère. Il fit bâtir une tour supplémentaire, nécessaire aux fortifications, et pour cela expropria un bourgeois de la cité. La cour de Lyon approuva.
Cette même année, on apprit qu'un particulier était parvenu à contrefaire les clefs de la ville. C'était un crime de haute trahison ; il fut jugé selon la rigueur de la loi.
L'abbé d'Ainay avait vu son trésor diminué lors de ces dernières années. D'autre part, nobles et manants étaient ruinés. La guerre en était la cause. Il fallait économiser. Les moines ne reçurent plus que deux miches de pain par jour au lieu de trois. Une extrême misère toucha le peuple.
La guerre revint à nos portes. L'abbé d'Ainav Guillaume de la Grange, voulait entretenir une forte garnison à Chazay et pour cela céda plusieurs terres à Jean Servin, sur le territoire de Lozanne.
On apprit, en 1415, l'immense défaite d'Azincourt. Les forces vives du royaume, fleur de notre chevalerie, furent décimées. Dix mille morts furent à déplorer, des princes, des ducs, des comtes, des seigneurs et neuf mille chevaliers. Mille six cents chevaliers et écuyers furent faits prisonniers et mis à rançon.
Le roi Charles VI et son fils le Dauphin furent épargnés. Les princes et les ducs n'avaient pas voulu qu'ils participent à la bataille " mieux vaut perdre la bataille sans le roi que le roi et la bataille ".
Amédée, seigneur de Châtillon, ne revint pas de cette période de guerre.Il mourut à Azincourt. Le duc de Bourbon, qui avait vaillamment défendu notre contrée fut fait prisonnier et mis à rançon en Angleterre. Il n'était plus là pour défendre notre région.
Les Bourguignons voulurent s'emparer de Lyon. Le bailli de Mâcon organisa la défense de notre région. Guichard d'Albon, seigneur de Curis et Saint-Forgeux, fut mis en demeure de fortifier les châteaux de Sain-Bel, Vindry, Montrottier et d'y tenir forte garnison.
André Chevner, délégué par le bailli, mit en état de défense les forteresses du Lyonnais, Chazay eut sa visite. Alors apparurent des bandes de pillards qui saccagèrent tout sur leur passage. Ils faisaient quantité de prisonniers et les mettaient à rançon. La population afflua dans Chazay fortifiée. Chacun portait avec soi ce qu'il avait de plus précieux. Les souterrains du château-prieuré se remplirent de trésors pendant que les maisons étaient investies par les fugitifs.
Toute la région fut pillée. Il n'y avait plus ni commerce, ni agriculture. Les nobles quittèrent les petites villes fortifiées pour chercher refuge à Lyon. Leur habileté militaire allait servir à la défense de cette ville.
L'abbé d'Ainav et Guichard d'Albon s'efforcèrent de faire face aux dangers. En avril 1418, une forte troupe bourguignonne composée de plus de huit cents chevaux parcourait la vallée de l'Azergues. Elle assiégea Chazay et dévasta les demeures. Elle détruisit l'hôpital Saint-André, les castels féodaux et l'église Saint-André, après les avoir dépouillés de leurs richesses. Le château-prieuré fut pris et les moines s'enfuirent. Tous les trésors entassés par les familles dans les caves et les souterrains furent volés.
En juillet, l'abbé d'Ainay emprunta au seigneur de Pollionay, Claude de Pompière, vingt huit écus d'or pour le rachat du château. Pendant trois mois Chazay fut occupé. La ville forteresse en partie détruite perdit de son importance. Les nobles n'osaient reconstruire en des lieux si souvent attaqués.
Trois mois plus tard, les moines revinrent à Chazay et réintégrèrent les cellules. On répara les maisons ruinées. L'abbé d'Ainay y consacra des sommes considérables et dut vendre des maisons situées au grand bourg pour trente six écus aux nommés Duvier et Mazet.
L'église paroissiale Saint-André fut reconstruite moins belle, petite, basse, mal éclairée, avec un plafond en bois, elle ne gardait de l'ancienne église que quelques pierres tombales, deux ou trois chapelles et son portail avec de vieilles ferrures. La plupart des familles nobles avaient quitté la ville. Ceux qui restaient, se servaient de l'église du prieuré.
En 1422, Charles VI mourut. Son fils apprit sa mort en Auvergne dans un petit château nommé Espalli. Les seigneurs qui vivaient-là avec lui le conduisirent à la chapelle et le saluèrent en criant "vive le roi". Il ne possédait plus qu'un quart du royaume de ses pères dont le Lyonnais. Il se fit reconnaître à Poitiers sans grande solennité et comme il possédait le Berry, on l'appela "le petit roi de Bourges ".
La guerre continuait. Dans les paroisses de la région, on ne cessait d'organiser des prières publiques, des processions, pour implorer le secours des Saints.
Humbert de Groslée, chevalier plein de bravoure, rassembla nobles, bourgeois et manants pour chasser les Anglais et les Bourguignons.
En 1427, le calme revint malheureusement pour peu de temps.
C'est alors que d'un petit village Domrémy, une jeune fille nommée Jeanne poussée par des voix intérieures rencontra le Seigneur de Baudricourt et lui dit
" Capitaine messire, sachez que Dieu m'a plusieurs fois fait savoir et commandé que j'allasse vers le gentil Dauphin qui doit être et est vrai roi de France, afin qu'il me baillât des gens d'armes. Je lèverai le siège d'Orléans et le mènerai sacrer à Reims ".
Prise pour folle, il la renvoya.
Jeanne revint :
" Au nom de Dieu vous mettez trop à m'envoyer, car aujourd'hui le gentil Dauphin a eu, près d'Orléans, un grand dommage ".
Quelques jours plus tard, Baudricourt apprit la défaite du roi à Rouvrai. Frappé par la singularité de cette annonce et tourmenté par l'insistance de la jeune fille, il permit son départ. Protégée par deux gentilhommes, et accompagnée de ses deux frères, Jeanne traversa un pays infesté de partis tant amis qu'ennemis. Sa fermeté et sa confiance leur promettaient toute sûreté pour la route. Munie d'une lettre du seigneur de Baudricourt, elle arriva à Chinon.
Jeanne tarda à être reçue. On craignait le ridicule. Finalement, le roi habillé fort simplement se mêla à la foule des courtisans. Jeanne fut introduite. Sans hésiter, elle se dirigea vers lui. La sagesse de ses paroles, le récit de ses visions toucha le roi et, pour enlever les quelques incertitudes qui le tourmentaient, elle lui proposa de lui dire en particulier un fait connu de lui seul. Charles accepta l'épreuve. Il se fit accompagner de son confesseur et de quatre seigneurs. Jeanne la Pucelle parla. Le fait, vrai, était resté secret. Dieu seul le partageait. Alors, mandatée par le roi, Jeanne alla devant le parlement de Poitiers et le convainquit par sa sagesse. Elle reçut une armure complète de la part du roi sauf l'épée qu'elle envoya chercher à Sainte-Catherine de Fierbois dans le tombeau d'un vieux chevalier où on la trouva comme elle l'avait désignée. Et Jeanne accomplit la mission demandée.
Avec une grande simplicité, elle vivait l'autorité d'un chef de guerre. Le duc d'Alençon, Dunois La Hire, Gilles de Rays Maréchal de France et d'autres guerriers admirateurs de son courage et de sa vertu veillaient sur elle.
En mai 1429, elle leva le siège d'Orléans. Son désir ultime était de faire sacrer le roi à Reims. Sa mission fut accomplie le 17 juillet de la même année. Jeanne redonna confiance au roi et ébranla la domination anglaise.
A la fin de cet an, Jehan du Mas revint dans la ville de Chazay qu'il avait tant aimée. Il s'était distingué dans les armées royales, fatigué, couvert de blessures, le vieux chevalier aspirait à une vie calme. Il y vécut seul, Jeanne-Hermance n'étant plus.
Le peuple était las, lui aussi, de toute cette guerre qui n'en finissait pas, de toutes les querelles qui naissaient entre les grands de ce monde et qui entraînaient des tueries, des pillages, des impôts lourds à payer.
Le peuple se souleva et se mit à son tour à piller, tuer, rançonner. Certains cherchaient à détruire les titres de redevances. Humbert de Groslée appela le ban et l'arrière-ban des chevaliers de notre région et donna la chasse à ces bandes.
En 1430, il prit leur chef à Panissière qui avoua le but de sa campagne : détruire la noblesse, les prêtres sauf un par paroisse, puis les notables et les bourgeois des cités. Ces révoltes des paysans n 'étaient pas sans excuses. Le roi Charles VII demanda que l'on examina les plaintes du peuple et que l'on y fit droit.
Depuis son retour au pays le chevalier donnait son temps et sa fortune au peuple. En créant des écoles, il protégea la jeunesse (500 livres tournois pour les jeunes orphelins). Il fit doter les jeunes filles vertueuses afin qu'elles se marient honorablement (500 livres tournois pour celles qui n'avaient pas de dot). Il veilla à ce que cette coutume ne disparut point après sa mort. Il fit des dons à perpétuité par les revenus de ses terres. Chaque année, une jeune fille sage de famille pauvre fut dotée. Couronnée, elle pouvait se marier honorablement, d'où le dicton populaire
"Filles qui n'ont point vu le Baboin,
Oncques maris ne trouvent point".
L'hôpital Saint-André qui avait été détruit en 1418 fut reconstruit, par ses soins, au sud du Castrum dans le petit bourg, bien plus grand que le premier. Il le dota de terrains fort étendus. Comme de coutume, un cimetière fut tracé alentour.
Beaucoup de malheureux frappaient à sa porte. Ils trouvaient un homme attentif qui savait les écouter, les réconforter et les aider par ses conseils et ses actions sages.
Quand en 1435 il mourut, dans toute la baronnie le deuil fut général. On n'avait pas imploré en vain les secours de cet homme. Le peuple se pressait autour de sa maison.
Un grand ami, un cœur noble et généreux ne serait plus là pour les aider, les comprendre, leur donner du courage pour affronter les difficultés de la vie.
Dieu sait Si son existence avait été un dur combat. Il l'avait menée comme un preux. Fidèle à son engagement de chevalier, il n'avait jamais failli.
La vraie noblesse est la noblesse du cœur
D'où venait-il ? Cela importait peu.
Maintenant le souvenir du Baboin allait vivre à travers les siècles, porté par la dévotion du peuple.
Des éclaireurs reconnurent très vite que la sentinelle n'était autre qu'une statue de bois détériorée par les intempéries.
Dans le même temps, le maire de Chazay, Jean-Philibert Rîmbourg, suivi de deux notables, se présenta et demanda audience au général autrichien. Il voulait détourner de la cité les malheurs d'une ville conquise.
Reçu au campement, le général demanda au maire qui veille du haut des remparts ? ".
Monsieur Rimbourg raconta l'histoire du Baboin. Emerveillé par les vertus et les prouesses du héros de Chazay, il dit :
" Eh bien rendez-lui grâce ll vous a encore cette fois préservé du fléau de la guerre ! ".
Et se tournant vers ses officiers, il donna ordre de passer outre, laissa à Monsieur Rimbourg un sauf-conduit qui fut, en même temps, un ordre pour tous les corps autrichiens à venir de respecter la ville de Chazay.
Les communes environnantes furent investies.
Le Baboin avait, une fois de plus, éloigné le malheur de Chazay d'Azergues.