Contes

 

 

La légende du Baboin de Chazay

 

 

Chapitre IV

Les chevaliers Guillaume d'Albon et Théodoro Sautefort revinrent au pays.

La petite fille sauvée des flammes, il y a quelques années, avait grandi.

Ses parents issus de la famille d'Albon pensèrent à la marier et confièrent leur projet au seigneur Guillaume. En ce temps-là, un seigneur qui voulait marier sa fille demandait conseil à ses parents les plus éloignés, mais aussi à ses vassaux.

Beaucoup de jeunes chevaliers, issus des familles nobles de la région, pouvaient prétendre à la main de la jeune demoiselle. Guillaume, son épouse et ses parents, voulurent la confier à celui qui avait su les gagner par la noblesse de son cœur. Jeanne-Hermance, informée de ce projet, accéda avec joie au choix de sa famille.

Depuis l'incendie, elle avait souvent pensé à Théodoro. Chaque fois qu'elle revivait cette horrible nuit, sa course dans l'escalier pour trouver une issue de secours, l'odeur de la fumée suffocante, ses cris de terreur, tout cela pesait d'un poids lourd dans sa poitrine. Alors, elle se hâtait d'évoquer la main qui se voulait rassurante de la dame d'Albon, leur montée rapide au sommet de la tour, les appels à en perdre le souffle, l'arrivée du Baboin, les bras forts qui la soulevaient.

A cet instant-là de ses souvenirs, la frayeur qui étreignait son cœur fondait progressivement et la paix, la confiance l'habitaient.

Ainsi, celui qu'elle admirait tant deviendrait son époux. Théodoro était depuis longtemps lié à cette jeune fille par de doux sentiments. Lorsque Guillaume d'Albon l'entretint des projets de mariage qu'il nourrissait à son égard, le jeune homme sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Jamais, il n'aurait osé penser à pareil hymen !

Alors Théodoro ? Tu ne réponds pas ! Ne penses-tu pas à te marier, à avoir des enfants ? ".

" Seigneur, votre bonté s'est déjà manifestée plusieurs fois à mon égard, quand vous m'avez accueilli et lors de la remise de mes insignes de chevalier.

Mon cœur est débordant d'amour pour Jeanne-Hermance, mais que puis-je lui offrir de plus ? Je n'ai pas de demeure, pas de biens.

- Pourquoi te soucier de cela ! En mes biens à Chazay tu t'installeras avec ton épouse, ma demeure y est spacieuse. Personne autant que toi, ne mérite ma confiance

- Alors, seigneur, je suis le plus heureux des chevaliers si Jeanne-Hermance accède à mes vœux !

Avec sa tante, la jeune fille entra dans la grande salle. Sur la table formée de planches et de tréteaux, des chandeliers étaient posés. D écuelles et des gobelets s'alignaient d'un seul côté. Les bancs étaie déjà placés. On allait s'apprêter à dîner.

De chaque côté de la cheminée, des bras de lumière se tendaient. Des landiers supportaient d'énormes bûches qui flambaient. Sous le grand manteau de la cheminée, des bancs et des escabeaux permettaient de veiller au chaud. A la lueur des flammes, les boutons décorés des pelles luisaient doucement. Près d'elles, étaient déposés des soufflets, longs tubes de bois dans lesquels il fallait souffler pour activer les flammes. Une chaufferette aux armoiries des d'Albon, servait à réchauffer les pieds lors des longues soirées d'hiver.

Un grand coffre sculpté portant un écritoire, des plumes d'oie et un coffret contenant le sceau de la famille, était adossé au mur. Sur le dressoir, les étuis à couverts des nobles habitants étaient alignés. Des plats, des coupes, des gobelets, des aiguières se pressaient. De chaque côté de la croisée étroite, des bancs de pierre attendaient les dames et leurs ouvrages de broderies. La fenêtre était obstruée par un châssis tendu d'une feuille de parchemin huilé. Aux murs, étaient suspendus des tapisseries, des armures de chevaliers et des boucliers blasonnés.

" Approche mon enfant. Aucun homme ne pourra mieux t 'aimer et te protéger que mon fils le chevalier Théodoro! ". Jeanne-Hermance, émue, s'inclina.

" Mes enfants, aujourd'hui est un beau jour pour notre maison. Que l'on se prépare pour les festivités du mariage, et que l'on publie les bans !

On dépêcha à travers la baronnie, de nombreuses invitations.

Chazay se préparait aux réjouissances.

Troubadours, ménestrels, gens du voyage, affluaient comme au jour des grandes foires. Dans les cuisines de la noble demeure, on s'affairait; des servantes, des marmitons furent engagés. Dans la grande salle, des poupées mannequins arrivées de Lyon, s'alignaient sur un coffre. Chacune était revêtue d'habits aux tissus somptueux et aux couleurs chatoyantes. A leur riche ceinture étaient attachées des bourses tissées d'or et d'argent. Sur leur tête, des bonnets en pointe d'où pendaient des voiles souples et soyeux, dont les replis entouraient la tête et les épaules.

Des coffres neufs accueillaient le trousseau de la jeune mariée et ses vêtements qui étaient roulés et aromatisés. Un coffret de bois garni de cuir, de fer, de cuivre merveilleusement travaillé, contenait les objets de toilette et les flacons de poche à senteurs. Dans un autre, en bois blanc, appelé "layette ", étaient rangés les gants, les mouchoirs et les rubans. Un coffret nommé " forcier " renfermait les bijoux de la future épouse. Des drageoirs, délicatement ornés, contenaient des sucres-dragées, des pâtes de Roy au gingembre, de l'anis et des noix confites.

Chaque foyer du bourg reçut les largesses du seigneur d'Albon. Le peuple était en liesse. Ce fut le seigneur baron d'Ainay qui vint à Chazay pour bénir l'union de la jeune demoiselle et du chevalier. Trois dimanches consécutifs, les bans furent publiés.

Alors les fiancés se présentèrent à l'entrée du château-prieuré, devant l'église. Sur le seuil, portant au fronton la croix, la fleur de lys et un soleil dardant cinq rayons, se tenait Guillaume d'Oncieu entouré des prêtres.

 

" Nous avons fait les bans en cette sainte église par trois dimanches continus et n'avons trouvé nul empêchement à la légitime union. Encore les faisons derechef,

première...

deuxième...

et troisième fois...

S'il y a quelqu'un qui connaisse empêchement à ce mariage qu'il le dise!

Qui maintenant s'en taira et demain en parlera, sera excommunié ! ".

Personne ne dit mot ! Puis ce fut la bénédiction des anneaux. Alors Théodoro prit dans sa main droite treize deniers et l'annel d'or. Plaçant ce dernier au quatrième doigt de son épouse, il dit

De cet annel, je vous épouse " ; en glissant trois deniers dans la main de Jeanne-Hermance " De mes biens je vous doue !

Les dix autres deniers furent remis au prêtre. A la porte de l'église les pauvres qui quêtaient régulièrement reçurent des dons. Le prêtre, puis les jeunes mariés se dirigèrent vers leur demeure. Sur le parcours de l'église du prieuré à la résidence des sires d'Albon, les gens s'étaient rassemblés, les enfants regardaient Théodoro et sa jeune épouse avec admiration. Le cortège était magnifique, des musiciens dansaient et jouaient. Ce jeune chevalier était des leurs... Les plus beaux rêves devenaient réalité.

Devant la porte d'entrée, le pain et le vin avaient été préparés sur une table garnie d'une nappe blanche fleurie. Après avoir été bénis par le prêtre, l'époux puis l'épouse rompirent le pain et le mangèrent. Le prêtre bénit le vin et leur donna à boire. Ils entrèrent dans la noble demeure. Puis il conduisit les jeunes mariés dans leur chambre précédés du Seigneur d'Albon qui portait un chandelier éclairé. Il mêla dans la même coupe le vin rouge et le vin blanc, symbole des époux, puis bénit le lit nuptial.

Théodoro et Jeanne-Hermance burent à la coupe. On remit au prêtre le vin des noces. Ce présent était fait pour le remercier d'avoir célébré le mariage. Les jeunes époux rejoignirent tous les invités pour partager le repas, les conversations animées, les rires, les jeux, les chants et les danses, comme à l'accoutumée.

L'activité intense des cuisines n'avait d'égale que les odeurs mêlées des grillades et des épices qui s'exhalaient par la porte et la croisée ouvertes. Les hautes broches aux bois odoriférants parfumaient les viandes. Des enfants les faisaient tourner. Dans le chaudron pendu à la crémaillère, mijotaient des herbes, des racines (légumes). Sur des grils carrés, des poissons du vivier et de l'Azergues, cuisaient. Sur d autres, triangulaires, le pain et les fromages doraient. Et toutes ces odeurs mêlées appelaient à partager le festin.

Les servantes, les valets apportèrent les mets, grands plats chargés de plusieurs espèces de viandes, avec quantité d'herbes et de racines cuites. Les nobles avaient apporté leur propre nécessaire à manger qu'ils retiraient d'étuis délicatement ouvragés. Une fontaine de vin avait été installée pour les festivités. Les vins de la baronnie furent servis en abondance. Un cinquième des terres cultivées était réserve à la vigne. Sur les coteaux doucement inclinés à l'est et au midi, le raisin généreux donnait une boisson que l'on considérait comme un aliment. Les hommes appréciaient les vins aromatisés au miel, épicés ou pimentés. Les femmes et les enfants les burent coupés d'eau.

La fête continua par des chansons, des tours d'acrobaties et des danses. Tout le peuple de Chazay y participa. A la table d'honneur, les jeunes mariés, entourés de leur famille, vivaient avec joie ces heures merveilleuses de bonheur. Le temps semblait suspendu.

 

 

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