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La
légende du Baboin de Chazay |
Chapitre V
Durant ces jours, l'abbé d'Ainay avait entendu les bourgeois, le peuple et les seigneurs louer les qualités du nouveau marié. A la ville, à la guerre, tous s'accordaient à dire qu'il n'y avait pas de cœur plus noble. Théodoro avait su garder une grande simplicité qui le faisait aimer et respecter de tous. Le seigneur abbé l'appela en sa demeure. Théodoro, par la grande charrière, entra sous le porche, la herse était levée. Un homme d'armes montait la garde sous la tour du veilleur, face à l'entrée. Le chevalier se dirigea vers le château-prieuré. Par la cour intérieure jouxtant l'église du prieuré, il entra dans la salle des gardes. Ceux-ci étaient rassemblés autour d'une grande cheminée. Le sol de terre battue était jonché de paille fraîche, renouvelée régulièrement. On le conduisit dans la deuxième salle du rez-de-chaussée qui servait de salle d'audience ou de justice. Cette magnifique pièce aussi vaste que belle s'éclairait au soleil levant. Là, le seigneur abbé d'Aînay, entouré des moines installés sur sa baronnie, l'attendait. |
Théodoro, mon magnifique fief de Chazay a besoin d'être défendu et administré avec sagesse ! En cette ville et sur les champs de bataille de notre région et du pays de France, tous t'apprécient. Je désire te confier la garde et la défense des propriétés de l'abbaye et te nomme capitaine-châtelain. Afin que ton nom porte les signes de noblesse, je te fais don d'un riche apanage ( part qui en résulte ), taillé dans le domaine du Mas et tu t'appelleras désormais : " chevalier Jehan du Mas " ( Jehan = don de Dieu) ".
Les nouvelles propriétés du chevalier s'étendaient au midi du bourg jusqu'au chemin qui se dirige de l'Azergues à Batailly, ainsi que le Pressin, les terres de l'hôpital de la Conche, de la Framboisière et du hameau Fressonnet-Valentin. Les bénéfices qui en résulteraient lui permettraient de vivre aisément.
Le chevalier capitaine châtelain s'installa avec son épouse dans l'appartement réservé à sa charge, à l'intérieur du château-prieuré.
Jehan se consacra complètement aux intérêts de l'abbé et de l'abbaye. Il y avait fort à faire : entretenir les hauts murs de protection, nettoyer les fossés, organiser les charges de chacun, veiller aux récoltes, écouter les gens et les conseiller, s'assurer des réserves dans les caves et les greniers du château. Chaque dimanche après l'office, comme le voulait la coutume, les moines distribuaient une ânée de vin (cent kilos = ce que peut porter un âne) et trois bichets de pain (un bichet = vingt cinq kilos) aux plus pauvres et aux indigents.
Plusieurs fois, à la tête des chevaliers et des hommes d'armes, il frit obligé de repousser l'assaut de bandes ennemies. En 1377, le duc de Bourbon fit appel à toute la noblesse pour chasser hors de chez nous les pillards. Les Anglais installés à Carlat en Forez, au milieu des montagnes de l'Auvergne, se lançaient de cette forteresse pour rançonner, piller, lever contribution de guerre dans toute la région et se ravitailler. Beaucoup de villages se fortifièrent.
Un Jour de l’An 1379, en mai, du haut de son beffroi, l'archer du guet vit l'une d'entre elles se diriger vers la ville, le tocsin sonna plus fort que de coutume. Il voyait l'ennemi apparaître sur les hauteurs, au nord-ouest, qui dominent la plaine Saint-Antoine.
Manants et vilains quittèrent à la hâte les vignes et les terres qu1ils cultivaient. Des hameaux voisins accoururent hommes, femmes et enfants conduisant les troupeaux qu'ils avaient fait sortir précipitamment des étables et des prés. Tous arrivaient en courant. On ne serait tranquille qu'à l'intérieur des hautes murailles.
Jehan surveillait tous ces mouvements. On laissa les animaux dans la première enceinte et on remonta les ponts-levis. Le long des murailles, dans les tours rondes et carrées et sur le chemin de ronde, des archers avaient pris place. Des hommes du bourg, des artisans, commerçants, vignerons et laboureurs vinrent prêter main-forte. Les portes du castrum étaient encore ouvertes, les paysans convergeaient vers l'église Saint-André.
Dans les caves, les galeries et les greniers du château-prieuré, quantité de nourriture et de vin était gardée en cas de siège pour nourrir la population grâce à la sage administration du chevalier châtelain. L'eau fraîche du puits de la place du four banal, claire et abondante, pouvait subvenir aux besoins de tous sans tarir.
En haut du beffroi, Jehan monta et observa les mouvements de fa troupe ennemie. A moins d'une lieue des remparts, elle commençait à établir son camp au nord.
Jean Peyssel, Jacquin Trumelly, Berthet Johanin, Etienne et Michel Pupon, Etienne Sage, Alasony, Pierre Pintelli, Etienne Roze, Pierre Estevenon, Etienne Chapelle dit Dunes, Michelet de Ponères, André de Pourrière, Jean Racaîgnon, Jean Beczon, Jean Etienne, Denys de les Beluzes, André Lyatard, François et Barthémy Arrivat, Pierre Cholet, Guillermet Barbut dit Guillot, Pierre Vianneys, Pierre Fornier, Jean Taboret, Vital Rossel, Jean Coindes, Antonin Bourdelin, Pierre Marnand, Etienne Marnand, Péronin Coindes, Pierre Micholet, Jean Quartier, Jean Veleyna, Jean Fagnière, Mathieu Peysent, Etienne Arrivat, Jean Bertholon, Jean et Etienne Boniers, Pierre Favier, Pierre AIban.
Hugues Spiny écouta les deux parties et fit appliquer le contenu de la lettre royale. Il ordonna que les hommes cités plus haut contribuent à la garde, au guet et à l'entretien de la ville forteresse et que saisie, détention et autres répressions soit utilisées envers les récalcitrants.
L'acte frit passé en présence de Joffroy de Régny, clerc, Martin Pupon, Pierre de Costances, Geoffroy Ruffi, vassaux royaux, appelés à cet effet comme témoins.
La guerre de cent ans continuait bien que les armées royales aidées par les chevaliers de notre région aient réussi à prendre Carlat et à mettre en déroute les Anglais sur la rivière de Rheins entre Roanne et Perreux. Grandes furent les pertes anglaises en ce lieu puisqu'il frit appelé " cimetière des Anglais ". D'autres colonnes de soldats anglais sévissaient encore.
Charles V, duc de Berry et d'Auvergne, participa à cette opération pendant que Duguesclin, homme de guerre des plus habiles, poursuivait le duc de Lancaster et ses troupes anglaises.
Jehan du Mas vécut toutes ces campagnes, prêtant main forte en ce qui concernait notre contrée.
Sa renommée grandissait. Il administrait consciencieusement la baronnie. Sous l'ordre du nouvel abbé d'Ainay, Adam du Mont Saint-Jean, il fit appel à tous les vassaux pour travailler aux fortifications. Beaucoup ne voulurent pas se soumettre. Ceux de Lozanne objectèrent qu'ils n'étaient pas sujets de Chazay et qu'ils se défendraient chez eux. Ceux de Morancé prétendirent qu'ils préféraient se retirer dans les châteaux forts du Pin et de Beaulieu. Le seigneur abbé de Chazay s'adressa à la cour de Lyon qui lui donna raison et, finalement, au roi en avril 1378 pour les derniers récalcitrants.
La châtellenie de Chazay dépendait du commandement militaire de la châtellenie royale de Pouilly le Monial, et ce fut à Hugues Spiny, que le roi s'adressa pour obtenir la soumission des récalcitrants. Hugues Spiny, capitaine châtelain de Pouilly, assisté de messire Pierre de Costances, se rendit dans ce but à Chazay pour donner lecture aux habitants de la lettre du roi et faire connaître les mesures que lui-même prenait. Un jeudi, jour de marché, après la fête Saint-André en l'an 1379, sous la loge comme c'était la coutume, la charte du roi frit lue devant le capitaine châtelain Jehan du Mas revêtu de la procuration de l'abbé d'Ainay, d'une part, et les sujets du révérend père abbé et de Monseigneur l'archevêque comte de Lyon qui refusaient d'entretenir la forteresse, d'autre part.
Il reconnut les Anglais. Ils traversaient la France, vivant de larcins, de vols, d'assassinats, semant sur leur passage peine, malheur, souffrance et mort.
Jehan, en homme de guerre averti, comprit qu'il fallait faire vite et ne pas laisser à cette colonne armée le temps de s'installer pour étudier le terrain et attaquer la ville.
Les chevaliers soumis à la chevauchée s'étaient réunis dans la cour du château. Les valets et les écuyers sortaient des écuries leurs chevaux harnachés. Clair et précis, Jehan annonça les positions ennemies et son plan d'attaque-surprise ; chacun sut ce qu'il avait à aire, les chevaliers comme les gens de pied. Il donna ordre de sortir par la porte de l'Isérable et de se porter à bride abattue au nord de Chazay. On serait protégé par les bosquets et les hauts arbres qui entouraient la maladière et la chapelle Saint-Roch et Saint-Georges. En ce lieu, on portait secours aux pestiférés.
L'attaque des chevaliers frit soudaine pour les ennemis, trop occupés à s'installer. Très vite, ceux-ci se ressaisirent. La lutte frit sérieuse, ce frit un véritable corps à corps ; le combat dura toute la journée.
Nos chevaliers et les archers connaissaient chaque parcelle de leurs terres et ce frit un avantage ajouté à leur courage. Derrière les murailles du castrum les êtres qu'ils aimaient comptaient sur leur victoire. En l'église Saint-André, le peuple priait. Les familles nobles en faisaient autant dans l'église du prieuré. Sur les murailles, dans les tours, hommes d'armes, bourgeois, artisans et marchands, scrutaient les moindres mouvements qui pouvaient se produire sur les routes, dans les collines. Des hautes tours de la porte des Varennes comme du beffroi, on apercevait à travers les futaies et les taillis le combat des chevaliers. On entendait les cris des hommes et des animaux blessés. Le combat était violent. Les chevaliers et les archers, commandés avec habileté, frappaient à coup sûr. Les pillards furent contraints de se sauver lamentablement, laissant morts, blessés et riche butin.
Bientôt, l'ennemi, plutôt ce qu'il en restait, disparut derrière les bois en direction de Morancé. On releva les blessés pour les soigner en l'hôpital Saint-André, on rassembla le riche butin provenant des pays que la troupe ennemie avait rançonnés. On s'occuperait des morts plus tard.
Les prisonniers furent regroupés sous bonne garde et Jehan ordonna le retour à Chazay. Du haut des murs et des tours, on comprit la victoire. Les cinq cloches du prieuré carillonnèrent joyeusement. Des cris de joie s'élevèrent des églises, des places et des rues. Le peuple se porta en direction de la porte de l'Isérable. Déjà le grincement des poulies se faisait entendre, le pont-levis rétablit le passage et la foule se massa sur le parcours.
Des jeunes filles, les bras chargés de fleurs, se portèrent au devant du héros Jehan du Mas et de ses chevaliers. Quelle ovation !
Tout le peuple de Chazay était là, uni dans la même joie et la même fierté. Ils virent défiler les chevaliers, les archers, les prisonniers bien gardés, les blessés et le butin réquisitionné. Ils attendaient avec impatience le récit de la bataille. Les valets des maisons nobles allaient rapidement donner des détails entendus au cours des veillées dans les grandes salles. Les archers, à la taverne, en feraient le récit et de maison en maison, dans les ruelles et sur les places, les hauts faits se colporteraient enjolivés par la ferveur de chaque conteur.
Jehan avait acculé l'ennemi avec la maîtrise d'un grand homme d'armes. En souvenir, on appela ce lieu les Culattes ( là où les Anglais furent acculés).
A l'hôpital Saint-André, on prenait soin des blessés. Chevaliers ou gens de pied hospitalisés, dépendant de Chazay, étaient en nombre minime.
Alors le capitaine châtelain frit revêtu par le roi de France de la dignité de châtelain royal. Il pouvait désormais convoquer le ban et l'arrière-ban des nobles vassaux sous sa bannière. Ils avaient tous intérêt à repousser l'ennemi commun. Jehan à la tête maintenant de forces importantes, sans cesse chevauchant, bouta en maintes escarmouches les bandes ennemies.
Cette année-là, un seul seigneur convoqué au ban pour défendre Chazay n'était point paru. Le Seigneur de Lissieu, pourtant propriétaire d'une partie notable de son domaine sur la baronnie de Chazay, manquait ainsi à son serment de fidélité. Il ne portait à la cité ni secours, ni subsides pour la garde et l'entretien des fortifications. Jehan en avisa le sénéchal de Lyon, le procureur royal Hugonin Marchio donna raison à l'abbé, le seigneur n'obéit pas plus. L'abbé Adam du Mont Saint-Jean en avisa directement le roi qui fit réponse à Hugues Spiny, capitaine châtelain de Pouilly-le-Monial.
Lambert de Lissieu entendit la parole royale et avec ses vassaux vint travailler aux fortifications de la ville, y apporta aide et secours puisqu'il trouvait refuge en ces murs.
La ville durant cette période fut souvent attaquée, l'hôpital Saint-André et l'église avaient été gravement endommagés. En 1388, l'abbé d'Alnay intervint auprès des notables de Chazay pour que les réparations soient faites. La forteresse de Chazay avait de plus en plus d'importance.
En 1392, Charles VI renouvela au capitaine châtelain de Chazay, le titre de châtelain royal, et obligea les vassaux de la baronnie à faire au chevalier Jehan du Mas un traitement en rapport avec sa haute dignité.
Cette année-là, le roi de France eut un accès de démence au cours d'une promenade. Pendant de longues années l'autorité royale sera partagée entre les oncles du roi, la reine Isabeau de Bavière et le malheureux roi que le peuple avait surnommé "le bien-aimé " parce qu'il avait pitié de lui. Il administrait son royaume par intermittence quand sa maladie lui laissait un peu de repos. Il frit le jeu d'intrigues, de jalousies, on le gardait souvent dans l'ignorance des affaires de l'état. Son autorité était sans cesse convoitée.
Le royaume, ou ce qu'il en restait, fut atteint par les luttes que se firent les ducs d'Orléans et de Bourgogne. Ce dernier s'allia aux Anglais maintes fois. Toutes ces tensions conduisirent le pays vers de plus grands malheurs. Le peuple sans cesse sollicité était las de toutes ces luttes intestines.
Alors, arriva à Chazay un courrier rapide demandant à Jehan du Mas, avec l'assentiment de l'abbé d'Àinay, de quitter sa fonction pour se rendre en toute hâte auprès du Bailli de Mâcon, Quoerados de Quesnes, par ordre du roi. Il quitta Chazay et prit le commandement de cent lances (cent hommes d'armes) dans l'armée royale.
Un service plus grand l'attendait vers d'autres horizons. Dans les armées du roi, il fallait des âmes bien trempées ; sur les routes du royaume, que d'embûches. Quelle misère partout Les prés, les champs n'étaient plus cultivés. Il rencontrait des villages entiers, pillés, brûlés, des enfants qui erraient sans but. Sur les routes, l'exode et la fuite conduisaient les populations vers les villes fortifiées. Aux portes des Hôtels-Dieu, des hospices et des couvents, de longues files d'hommes, de femmes, d'enfants demandaient aide et assistance.
Pendant plusieurs années, Jehan vivra la guerre, les champs de bataille, les sièges, sans revenir au pays.