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La
légende du Baboin de Chazay |
Chapitre III
Inanimé sur son lit de souffrance, le Baboin gémissait et luttait. Depuis plusieurs jours, il était sans connaissance. Les gens du voyage venaient aux nouvelles et restaient à la porte de l'hôpital. Ils attendaient pour reprendre la route l'annonce de sa guérison. La dame, bien remise maintenant, se tenait à son chevet lui prodiguant ses soins. Dans Chazay on ne parlait que de ce jeune homme courageux. On louait les qualités de ce noble cœur. Les vendanges allaient bientôt être terminées. L'exploit de Sautefort dit "le Baboin " alimentait toutes les conversations des repas, des veillées, sans oublier celles de la taverne. Dans l'église Saint-André, les gens priaient et faisaient des dons aux saintes reliques pour demander sa guérison. Ils disposaient leur obole dans un tronc (fraction d'un arbre creusé à cet effet). Les confréries du Saint-Esprit, de l'Assomption et de Saint-Laurent (associations de prières et de secours mutuel) se relayaient avec ferveur. Les semaines passant, la douleur diminua grâce aux soins intensifs du frère et, un jour que la dame d'Albon le veillait avec la fillette qui avait été sauvée, il sortit de sa léthargie. |
Où était-il ? Que faisait-il dans un lit, lui qui n'était habitué qu'à la paille et à dormir à la belle étoile.
Il se souleva ; avec beaucoup de gentillesse, la dame d'Albon le calma et le réconforta. Le Baboin ne se souvenait de rien. Alors le frère Philippe lui raconta l'incendie et comment il avait sauvé la châtelaine et l'enfant. Le frère lui expliqua qu'il était dans ce lit pour plusieurs jours encore, qu'il fallait se reposer en toute quiétude.
Gentil Baboin, laissez-nous vous dire notre reconnaissance. Acceptez cette bourse pleine d'écus et restez en notre castel de Chazay, jusqu'au retour de mon bien-aimé époux !
Pendant ce temps, le frère annonça aux saltimbanques la guérison de Sautefort. Ils demandèrent pour le voir. La joie simple des gens du voyage se lisait sur leur visage. Aucun d'eux n'avait repris la route depuis la fameuse nuit. Il n'y avait pas grand chose à dire, pas de discours, la présence suffisait. Quelques jours plus tard, le Baboin s'apprêta à sortir de l'hôpital. La dame châtelaine lui offrit l'hospitalité pour toujours et Sautefort accepta. Il alla au-devant de ses compagnons d'infortune, leur donna la bourse pleine d'or qu'il avait reçue en remerciements et leur fit ses adieux. " Vous en aurez plus besoin que moi maintenant. Bonne route à tous ! ".
Le Baboin commença une nouvelle vie, au service de la famille d'Albon.
A quelque temps de là, les co-seigneurs d'Albon revinrent. Leur demeure qui avait été dévastée en grande partie, avec de l'aide, devenait plus habitable. Sautefort participa à ce travail. Nommé valet attaché au service du chevalier Guillaume, il l'aidait à revêtir son armure et l'accompagnait dans tous ses déplacements, participant de plus en plus à la vie de la noble maison, visitant les domaines pour s'assurer de la gestion des biens.
A cette école, il apprit très vite. D'ailleurs, le chevalier veillait tout particulièrement sur son éducation. Il savait qu'une âme noble et généreuse animait ce jeune homme.
En janvier 1368, on apprit que les routiers emmenés par Duguesclin en Espagne après leur défaite à Najerra, où celui-ci fût fait prisonnier et mis à rançon, avaient reformé leurs troupes et envahissaient progressivement le Languedoc et l'Auvergne.
Le Chapitre de Lyon multiplia ses ordres afin qu'on se hâte de faire entrer gens et vivres dans les castels. On dut brûler toutes les provisions qu'on ne pouvait mettre en sûreté.
L'abbé Guillaume d'Oncieu prit les mêmes mesures pour les fiefs de l'abbaye. Chazay fût l'objet d'une sollicitude particulière. Guillaume d'Alix, capitaine-châtelain, organisa sa défense.
En février 1368, les routiers arrivèrent par les monts du Beaujolais et du Mâconnais et se dirigèrent vers Thoissey. Les habitants de cette ville les repoussèrent courageusement. Lyon demanda secours au duc de Savoie. Les routiers, voyant le Lyonnais Si bien gardé, s'éloignèrent en direction de la Bourgogne et de la Champagne. Une seule de leurs bandes resta dans la région. Elle fût défaite à Semelay par le Maréchal de Bourgogne. Cette débâcle apporta quelques années de tranquillité à nos pays.
Le Baboin, fidèle serviteur, participa à toutes les actions demandées au côté de son chevalier. Sa nouvelle vie lui plaisait, c 'était un grand bonheur pour lui de servir. Sa force physique et la sagesse de son esprit en faisaient un précieux collaborateur. Il devint, au cours de cette période l'ami dévoué. Guillaume le nomma écuyer et l'appela Théodoro ce qui veut dire "don de Dieu ". Dorénavant, il portera l'écu blasonné à son côté.
Théodoro Sautefort, Théodoro le Baboin, ainsi le nommait-on. Ces prénom et nom lui seyaient à merveille. La sagesse populaire l'en avait gratifié.
En 1369, l'abbé d'Alnay obligea les vassaux de la châtellenie à travailler aux fortifications de la cité. Un grand nombre repoussa ces corvées Si nombreuses et Si lourdes. Les sujets de Marcilly, Civrieux, Lozanne et Morancé y furent contraints par jugement de la sénéchaussée rendu à Lyon. Il ne fallait pas oublier les services réels que la forteresse offrait, en procurant aux familles et aux biens, vie sauve et sécurité. Si les routiers avaient disparu, d'autres menaces pouvaient se présenter. Alors, mieux va lait prévenir. Pendant ces quelques années de paix, on put ensemencer et récolter. Mais, vers 1373, la guerre recommença ardente et terrible avec l'Angleterre. Nos pays furent à nouveau ravagés. Marchant par bandes dans toutes les directions, sous le commandement du duc de Lancaster, les ennemis se contentaient de prendre tout ce qui était facile d'accès et rançonnaient les chevaliers, mais n'assaillaient pas les places fortifiées. L'illustre Duguesclin les poursuivait attaquant sans cesse leurs convois et leur arrière-garde.
Guillaume d'Albon fût rappelé dans l'armée de Charles V pour continuer à guerroyer les Anglais. L'écuyer suivit son maître dans toutes ces campagnes. Son intelligence, sa rapidité faisaient merveille. Dans les combats, on eut maintes fois l'occasion d'admirer son courage et sa prudence. Le seigneur d'Albon aimait son écuyer comme s'il était son fils. Un jour, il lui dit:
" Tu seras chevalier. Ta loyauté, ta générosité sont les qualités d'un preux, je serai ton parrain ".
Théodoro se prépara sérieusement à entrer dans la chevalerie.
La cérémonie commença par un bain, symbole de la pureté du corps et de l'âme. A la chapelle du château, la veillée d'armes débuta. Toute la nuit, Théodoro la passa en prière, demandant à Dame Marie et à son Fils de le bénir. Il était seul. Dans le silence profond, il fit vœu de défendre son roi et son châtelain, la veuve et l'orphelin, d'agir tout au long de sa vie avec loyauté et courtoisie.
Il revit sa vie d'errance ; d'où venait-il ? Qui étaient ses père et mère ?
Ses premiers souvenirs se liaient à la route, aux tours d'acrobaties, à la faim, au froid avec ses compagnons d'infortune. Il ne pouvait ni ne voulait les oublier. Depuis 1365, comme son existence avait été bouleversée ! Grâce à sa vie de saltimbanque, il avait pu affronter les peines et les souffrances des champs de bataille. Il remercia et rendît grâce pour tous ceux qui lui avaient fait confiance et en particulier pour le chevalier Guillaume, son parrain.
Le matin commença à pâlir. Les portes de la chapelle s'ouvrirent; le prêtre, les chevaliers, les écuyers, les jeunes pages, entrèrent. Devant toute cette assemblée, Théodoro se confessa. Il était vêtu de lin blanc.
A sa droite, le seigneur d'Albon se tenait. C'était lui qui l'admettait dans l'ordre. Sautefort pénétrait dans un monde nouveau. Cet appel secret, il l'avait senti au fond de sa conscience et maintenant, il allait être admis. Guillaume, son aîné, allait ouvertement faire appel à la force supérieure dans laquelle il reconnaissait l'action de Dieu, de la Sainte Trinité et de Notre Dame sur la terre. Après avoir entendu la messe, il reçut la communion, on l'aida à s'habiller.
Son vêtement de base était un pourpoint qu'il passa sur sa chemise. Celui-ci était muni d'un grand nombre de lacets de cuir. Des bandes de mailles étaient cousues sur ce vêtement, au coude et à l'aisselle. Une écharpe lui entourait le cou. Sur ses bas, il portait de petites chausses de cuir, puis des chausses de mailles. Pourpoint, écharpe et bas étaient rembourrés. L'armure était mise en place, pièce par pièce, en partant des pieds et en remontant. Grâce à de multiples lacets appropriés, on plaçait d'abord le soleret que l'on attachait sur le pourpoint, puis les jambières, les cuissards, les genouillères, la cuirasse que l'on ouvrait avant de l'attacher du côté droit et au-dessus des épaules. Enfin, sur les bras l'on posait les brassards, sur les avant-bras les cubitières et enfin les épaulières. Toutes ces pièces étaient lacées. Les gantelets seraient fixés à la fin de la cérémonie à la garde de l'épée.
Sur la tête après la coiffe, on posait le camail pour protéger le bas du visage ainsi que le heaume à visière pivotante. La ceinture était munie de deux anneaux, l'un à gauche pour y suspendre l'épée, l'autre à droite pour y contenir la dague ou poignard à miséricorde, appelé ainsi parce qu'il servait à égorger l'ennemi renversé à terre, Si ce dernier ne criait pas " miséricorde ! " pour se rendre à la merci du chevalier.
Le prêtre bénit l'épée et la remit dans la main de Sautefort.
Reçois l'épée !
Après qu'elle fût déposée dans le fourreau, le prêtre en ceignit le nouveau chevalier. Les chevaliers présents prièrent ainsi à haute voix:
"Exaucez, je vous prie, Seigneur, notre offrande et daignez bénir avec votre main de majesté cette épée dont votre serviteur désire être ceint, pour qu'il puisse être le défenseur des églises, des veuves, des orphelins et de tous les serviteurs de Dieu, contre la cruauté des païens, la terreur et l'effroi de tous les adversaires de Dieu. Que cette épée lui permette d'effectuer des poursuites équitables et de juste défense ".
Selon l'usage, Sautefort dégaina et la brandit trois fois d'un geste viril. Puis l'ayant frottée sur son bras, la remit au fourreau. Il reçut le baiser de paix " Sois un soldat pacifique, actif, fidèle, dévoué à Dieu ".
Le prêtre lui donna un soufflet : " Réveille-toi du sommeil de la malice et veille dans la foi du Christ et dans une louable réputation".
Puis les nobles chevaliers présents lui remirent ses éperons d'or en chantant alternativement
" Toi dont la beauté brille parmi les fils des hommes, sois ceint de ce glaive sur ta cuisse, Très-Puissant ".
Puis il reçut les autres pièces d'armes : bouclier, lance, hache, et poignard. Ainsi fut-il harnaché ! Son parrain lui donna l'accolade.
La cérémonie s'acheva.
" Va chevalier, n'oublie pas que la chevalerie est la milice terrestre de la cité de Dieu et qu'elle est la milice morale de la cité humaine pour la défense des faibles ".
Dans la bataille, rien n'était plus beau qu'un chevalier armé de pied en cap sur son cheval de combat.
Sa force, son adresse et sa valeur étaient les seuls garants de sa victoire.
Revêtu de son harnais, le chevalier jouissait d'un certain degré de liberté. Il pouvait se lever, s'asseoir, se coucher, courir, enfourcher son cheval et en descendre sans avoir besoin d'aide.
Armé de sa lance, il pouvait se lancer de toute la vitesse de son cheval sur l'ennemi qui venait à sa rencontre. Si, après un choc terrible, sa lance venait à se briser, il se servait de sa longue épée, de sa hache ou d'un maillet de fer à pointe hérissée qui pendait au côté de sa selle.