je
pense, encore de nombreux Chazois qui se souviennent de 1880.
Il y a de cela un peu plus de
60 ans,
Chazay
avait bien sa nouvelle église datant de 1873, mais
celle-ci n'avait pas de clocher.
On
parlait beaucoup de la construction prochaine de ce dernier,
ce qui constituait un événement d'importance
dans le village et les environs.
Après la séance du
Conseil de fabrique du 14 Mars 1882, l'exécution décidée
et les marchés étant passés depuis un certain
temps, les travaux furent conduits et exécutés avec
célérité.
L'année en cours suffit à M. André Bernard,
architecte de l'église, à MM. Chambion et Perrussel,
maîtres-carriers à Lucenay, à M. Catalan, entrepreneur
de maçonnerie à Chazay, pour terminer ce magnifique édifice.
M. Chevenay, sculpteur lyonnais dont le talent se manifestait
par ailleurs dans de nombreux travaux d'art, fut
dans doute le dernier à affiner certains motifs
que seul son ciseau d'artiste pouvait achever dignement.
Je me souviens parfaitement
d'avoir vu les deux frères Pouly, maîtres charpentiers, recevoir d'énormes
et gigantesques sapins qui arrivaient de chez Bertrand, d'Anse, enchaînés
sur de hauts avant-trains employés généralement
pour le transport des bois.
Quelques jours après, ces immenses
pièces de 20 à 25 mètres étaient dressées
au moyen d'engins et de cordages que tiraient des ouvriers maçons
installés sur une charpente construite sur le toit de l'église.
Bientôt, un échafaudage impressionnant s'élevait
avec ses étages successifs jusqu'à l'emplacement
futur des horloges. Avec le développement accéléré de
la construction, cet échafaudage prenait de la hauteur au
moyen de nouveaux madriers fixés aux arbres de base et réunis
par des croisillons jusqu'aux 45 mètres que devait représenter
le sommet de la flèche.
A la fin de 1882, le clocher était
terminé, ce qui confirme que tout était préparé de
longue date, que l'ordre existait chez nos prévoyants fabriciens
et chez les entrepreneurs qu'ils avaient choisis, en se dégageant
de toutes surprises et responsabilités sur l'autorité d'un
intègre expert et assureur de Lyon, M. Thommasset.
Souvenirs. - En acceptant un
peu trop vite la proposition de M. l'abbé Perronnet,
notre curé, me demandant d'écrire pour l' "Echo
de Chazay" mes souvenirs sur notre clocher et nos cloches,
je constatai bientôt que certains détails se
brouillaient dans ma mémoire. Je fis appel à son
amabilité, et alors, muni des renseignements puisés à bonne
source, j'ai donc pu reconstituer noms et dates et ajouter
ensuite mes souvenirs de jeunesse dans cet heureux temps.
Pendant
le cours des travaux, quelques vieillards, puis des curieux et
des oisifs se rassemblaient sur la place de la Croix...
Là, devant
les matériaux étalés, la conversation trouvait
son facile aliment dans les nouvelles apportées par les
uns, ou... les bobards et petites farces inventés par les
autres. Cependant, plaisantes ou sérieuses, paisibles ou
animées,
selon les moments, les conversations tenues par les gens ne ralentissaient
d'aucune manière l'oeuvre de construction décidée.
Cette oeuvre menée avec célérité grandissait
en peu plus chaque jour... Bientôt, il vint un moment ou
devant l'édifice en voie d'être terminé, quelques
bons vieux Chazois n'hésitèrent pas à comparer
avec une conviction touchante, sinon avec rigoureuse justesse,
la hauteur
du clocher de "leur église" avec celle de la flêche
de la cathédrale de Strasbourg...
Mon
frère qui a 76 ans, me racontait souvent que notre
grand-père, Joseph Colomb, maire de Chazay lors de
l'achèvement de l'église et à sa consécration,
n'eut pas le bonheur de pouvoir admirer le clocher qu'il
avait tant désiré voir s'élever majestuesement
sur notre nouvelle église.
En
effet, prédécesseur
de MM. Haour père et fils, un accident en 1874 l'enleva
subitement à l'affection des siens, et cela précisément
peu de temps avant que je sois de ce monde.
Un
fait d'un autre ordre va aussi me permettre de citer un brave
ami parmi d'autres non
moins chers, hélas lui
aussi trop tôt : Jean-Pierre Vianey, du Mas, dont les aïeux étaient
quelque peu apparentés à l'abbé Vianey, notre
Saint Curé d'Ars, Vianey fut le premier enfant baptisé dans
l'église
actuelle. Le deuxième baptème fut celui d'une souriante
Chazoise dont j'ai oublié le nom... le sourire... Enfin, je
fus le troisième. Que les suivants m'excusent de ne point
les citer tous!...
Si
ces faits paraissent insignifiants à certains,
ils me sont personnellement de quelque intérêt. Ils confirment
que mon frère et moi, bien qu'absents du pays, somme de vrais
Chazois nés au milieu du bourg et que nous sommes toujours fiers
de notre pays, au développement duquel nos ancêtres comme
tant d'autres dont vous connaissez les générosités,
ont apporté leur pierre.
Les Cloches. - Jeunes
compatriotes et Chazois d'adoption, peut-être n'avez-vous
pas souvent cherché à connaître l'histoire
de nos cloches ? Savez-vous comment elles sont arrivées
jusqu'à la flèche de notre clocher ? Quelle
réception leur fut réservée ? J'oublierai
certainement de curieux détails, mais les plus anciens
d'entre vous les ajouteront en aimables conversations.
Un document va rafraichir votre
mémoire ou vous dévoiler le passé.
Imaginez-vous d'abord que de généreux donateurs
avaient souscrit diverses sommes pour l'achat et l'installation
de ce nouveau carillon. L'achat de la plus grosse ne fut
décidé qu'en dernier lieu, car trois cloches
cela eût paru un peu maigre pour un tel clocher.
Chazay, avait-on pensé, méritait mieux
que cela.
Il fut donc entendu que le trio deviendrait
un quatuor, mais pour réaliser ce projet il manquait
de l'argent.
Une cloche de 800 kilogs allait coûter
2.500 francs. La monture accouplée avec la seconde cloche
allait s'élever à 600 francs. C'est alors que les
bourses se délièrent sans hésitation.
Un anonyme versa 600
fr. M. Etienne Lassale, père de notre très regretté bienfaiteur
Pierre Lasalle surenchérit par un don de 1.200 francs. Le
solde créditeur de la fabrique, 470 fr., fut finalement
ajouté, et enfin, avec quelques appuis nouveaux, on arriva
aux 3.000 fr. pour avoir le bourdon !...
Honorons la mémoire, après
60 ans, des des promoteurs de l'heureuse idée et
des donateurs qui firent réaliser le projet. Il
n'est jamais trop tard pour accomplir un devoir.
Quant aux trois autres cloches, il est probable que leurs parrains
et marraines eurent les premièrs la joie d'en connaitre le
prix !
Ce n'est pas tout : il existait au vieux clocher la vielle
cloche fêlée depuis longtemps, et du poids de
425 kilos. M. Burdin, le fondeur, accepta de la prendre en
compte à raison de 1 fr 90 le kilo. ce qui allait
produire 807 fr. Inutile de dire que cette somme trouva son
emploi dans les multiples règlements de cette importante
affaire.
On confia au serrurier Desvigne, homme courageux que les travaux
durs et périlleux n'impressionnaient pas, le soin de démonter
la cloche fêlée et de la descendre du vieux clocher,
ce qui, en ce lieu que nous connaissions, ne représentait
pas un petit ouvrage de dames !
J'ai le devoir d'ajouter ici que c'est aussi
le serrurier Desvigne qui, lui-même, plus tard, forgea à la
main et sous un feu d'enfer, les grosses barres de fer carrées
qui unissent les petits piliers au bas du perron de l'église.
Ceux qui ont assisté à ce travail d'un nouveau
Vulcain, savent avec quel courage et quelle endurance, cet homme
a accompli
cette besogne de véritable champion de la forge. Et avec
quel outillage ? Des marteaux, une enclume et des bras de travailleur
!
La cérémonie du Baptême. - La
perspective de la bénédiction et du baptême
des cloches faisait l'objet des conversations dans Chazay,
mais les cloches désirées étaient toujours
attendues quand un jour, le bruit se répandit que
de gros attelages étaient allés les chercher.
En effet, chargées sur des haquets ou
des "crapauds" traînés
par les robustes chevaux de l'entrepreneur Catalan, elles
faisaient cejour d'automne 1883 leur entrée dans
Chazay. Venaient-elles de la gare ou bien de Lyon par la
route, je ne le sus jamais.
Amenées jusqu'au pied du perron de l'église,
perron qui n'était alors qu'une douce montée
en terre, elles furent sur leur cadre en bois, peu à peu
poussées dans l'église, sur des rouleaux, jusqu'à la
table de communion.
Une
charpente, sorte de pont sspécialement
monté à cet effet, allait permettre de les suspendre en les élevant
environ à un mètre cinquante du sol. Le jour du baptême,
cette charpente était entourée de plantes vertes et de fleurs.
Les cloches, ornées de superbes dentelles, avaient pris des airs de
grande fête sous les rubans de soie multicolores qui semblaient
les unir et qui les embellissaient.
Au cours de la cérémonie qui se
déroula aux Vêpres,devant une foule considérable,
le prélat qui la présidait prononca le sermon
de circonstance.
Pendant la cérémonie,
parrains et marraines avaient pris place devant leur filleule
respective. A chaque baptême, la cloche dont
on actionnait le battant, faisait entendre son premier
chant.
Il
convient d'ajouter que cette solennité locale sans
précédent avait attiré dans notre église
un public nombreux et distingué.
Les
dames en imposantes toilettes, en robes longues de soie, étaient étincelantes
de bijoux autant de grâce et de fraîcheur. Vous allez
penser que j'ai une mémoire bien spéciale, mais ici
je répète ce que j'eus maintes fois l'occasion d'entendre
dire par ma chère mère et par d'autres personnes.
Les chales-tapis,
cela je m'en souviens très bien, de tous genres et de tous
les âges, resplendissaient ce jour-là sur de nobles épaules
et aussi sur le dos parfois voûté de nos bonnes grands'mères.
Les messieurs,
en redingote classique, étaient gantés. Les élèves
des pensionnats de jeunes filles des Sœurs Saint-Charles, et
les garçons de l' Institution Poncet, alors nombreux en ce
temps-là, assistaient à cette fête aux côtés
de la jeunesse de Chazay.
Le baptême
des cloches fut une belle et imposante cérémonie. Je
vois encore notre bon Abbé Dupuis, qui toujours se dépensait
sans compter, faire lui-même une fructueuse quête de
pièces d'or et d'argent en ce jour de réjouissance
et aussi de charité.
Voici les
inscriptions fondues en relief sur chaque cloche.
Elles constituent,
en somme, l'état civil de chacune d'entre d'elles.
Première
cloche ( celle de 800 kg. ) :
" Gloria
in exelcis Deo ! " - Je m'appelle Antonia.
Parrain
: Joseph-Marie Tabard.
Marraine : Antonia Pierrou.
Deuxième
cloche :
" Sit
nonen Domini benedictum " - Je m'appelle Joséphine.
Parrain
: Abbé Léopold Pagani.
Marraine : Joséphine Vignon-Dant
Troisième
cloche :
" Stéphane
Lassale - Pro impensis 1.200 Frs "
Parrain
: Joseph Grimardias.
Marraine : Pierrette Vaissière.
Quatrième
cloche :
Parrain
: Jean-Claude Duchamp..
Marraine : Claudia Montessuy, née Maillavin.
Sur
chaque cloche figurent les noms de M. Echailler, curé,
M. Dupuis, vicaire, et enfin du fondeur, M. Burdin, "année
1883".
Nos
cloches auront donc atteint la soixantaine en septembre
prochain.
Cette énumération
et certains faits qui précèdent, doivent remettre à la
mémoire d'un bon nombre de Chazois toute une époque
de travail, d'économie, de paix et de bien-être
que notre malheureuse France retrouvera si tous nous le voulons
réellement.
Le
SONNEUR . - B eaucoup
se souviennent du père Vermorel, notre "marguiller".
Il fut un de ces serviteurs rares, infatigable à l'église,
au clocher, au cimetière, et chez l'un et l'autre
où il était appelé. Ne fut-il pas
l'homme qui monta, et naturellement…descendit
le plus de marches d'escalier dans son véritable
apostolat d'un demi-siècle ? Notre sympathique
Vermorel était incontestablement un excellent
carillonneur. Il avait chez lui, au vieux clocher dont
il était le gardien, un jeu de cloches minuscules
qu'il actionnait de même façon que les grosses,
ce qui le familiarisait avec ses instruments à cordes…
Et qui
donc avait été son professeur ? C'était M. Etienne
Canard, instituteur et alors organiste de l'église en même
temps que musicien dans la fanfare !
Ce
bon et vénéré M. Canard ! Quelle obstination
méritoire n'apporta-t-il pas à vouloir faire entrer
dans les têtes les plus dures…ou les plus insouciantes,
l'ensemble des connaissances imposées par le programme ! Y
parvint-il ? Personnellement, ce n'est qu'un peu plus tard, je l'avoue,
que je me sentis disposé à étudier.
Lorsque
trop rarement, hélas, en visite "au pays",
il m'arrive de passer devant "notre église" ,
mon regard la fixe du perron au sommet de sa croix.
Ce
regard pensif, avouez, chers compatriotes, qu'il vous arrive aussi
de l'avoir. Sans doute, j'en conviens, votre vue ne fait souvent
qu'un arrêt d'utilité aux horloges. Parfois, cependant,
elle s'élève plus haut, je veux dire vers la Croix,
cette Croix symbolique si riche d'espérance, si consolante
aux heures d'épreuve…
Amis, ne rougissons pas de ce confiant
regard et plaignons ceux pour qui ce signe d'universelle rédemption
reste vide de signification.
Plus encore, regardons fièrement
notre église et notre clocher. Ce sont nos aïeux qui
les ont offerts au pays. Pourrions-nous renier tout ce qu'évoque
dans l'âme ce vénérable édifice ? Pourrions-nous
méconnaître "la Maison" qu'ils ont voulu
nous léguer comme la part la plus précieuse du commun
et familial héritage ?
Non,
sans doute, et nous avons raison. Au sens moral du mot comme
en son sens esthétique, Chazay sans son église
ne serait pas Chazay.
Pierre
CHAFFANGE
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