Poème local par Pierre Chaffange
I
A la mémoire de mes ancêtres.
Salut mon vieux pays ! je viens puiser chez toi
Le nouveau réconfort pour mon âme ulcérée
Après un long exil sous la voûte éthérée,
Bien loin de tes maisons où j’eus jadis un toit !
Oui,
je reviens rêver
autour de ta colline
Où mûrissent les fruits et le raisin vermeil,
Où l’on voit les blés d’or frémir
sous le soleil,
Caressés par la brise amoureuse et câline.
Et quand je dois gravir la pente du moulin,
Mon cœur s’agite et bat, tout mon être chancelle
Et j’hésite à franchir l’antique citadelle
Que domine toujours ton chevalier Baboin !
L’émotion m’étreint et je sens qu’une
larme
A l’instant vient perler à mon œil attristé,
Hélas, tout un passé joyeux … puis contristé
A troublé mon cerveau, l’affligeant d’une alarme
Comme
sur un écran , j’ai
revu tournoyer
Ma jeunesse à l’aube de ma vie
Aux temps où notre France aux dieux faisait envie
Par sa belle union, et sa paix au foyer !
II
Dans
ce film irréel j’ai revu mes ancêtres
:
Les Rimbourg , Maillavin , Collomb , Péché , Sini
;
Pierroud , Comte , Tabard , et l’abbé Pagani ,
Notables bienfaiteurs trop oubliés … peut-être
!
Je
vis nos grands aïeux auprès de l’éternel
:
Les Lassale, Rebot, Thève, Poncet, Vaissière,
Guillard, Vial et Magat, Savigny, Perretière,
Gros, Chapoule et Gigean, Haour et Vermorel.
Enfin
l’abbé Dupuis
aux vertus charitables,
Le bon docteur Charvet, Collignon, Dugelay,
Les Corbignot, Galland, Roberjot et Vianey,
Puis cent autres Chazois aux noms fort honorables !
Sombre évocation des rigueurs du passé,
Nous recueillant émus dans la minute brève !
Vision de héros endormis dans le rêve,
Qui glorieusement pour nous ont trépassé.
Oui,
je relus leurs noms au granit de la stèle
Que de pieuses mains fleurissent humblement ;
Noms de fils généreux, soldats du dévouement,
Martyrs auréolés d’une gloire immortelle.
Et
comparant leur lutte à défendre
nos champs
Aux lâchetés sans nom du monstre "moscoutaire"
J’ai tressailli pour eux, ces enchaînés sous
terre,
Insultés et vendus par d’infâmes marchands,
Et
j’ai maudit les fous, traîtres pleins d’arrogance,
Qui rougissent de sang leur faucille et marteau,
En brandissant chez nous un torchon pour drapeau,
Croyant par leur ukase anéantir la France.
Jamais nos paysans ne subiront ces lois !
Quinze cent mille morts sortiraient de leur tombe
Plutôt que de laisser s’accomplir l’hécatombe
Brisant nos libertés, à nous fils des Gaulois !
Il me sembla les voir nos vainqueurs de Guillaume
J’en ressentis en moi l’étrange impression,
Certes, je n’en fais point une affirmation
Laissant vivre les morts au sein de leur royaume.
III
Ce
jour, l’arôme pur qu’exhalait
un jardin
Où fleurissaient le lys et la rose mousseuse,
Vint me griser pendant qu’une tendre berceuse
Me rappelait alors, un chant de paladin !
Ce
vieil air du pays que chantait une mère
Auprès de son enfant réveillé trop matin,
Charmait étonnamment de son écho lointain
Mon oreille surprise au gré de ce mystère.
Les
fleurs me rappelaient le temps des fêtes-Dieu,
Quand chacun fleurissait de cette rose exquise
Les chemins du seigneur environnant l’église
Et que les encensoirs embaumaient ce milieu !
Mais
soudain au vieux bourg j’arrivai sans tapage,
Bavardant par ici, puis commérant par là,
M’arrêtant vers Desgoutte et devant Minola…
Pour contempler d’ici la place du village.
Or, ce vivant tableau me sourit un instant !
D’étranges souvenirs ravivèrent ma flamme
En donnant tour à tour viatique à mon âme
Et jouvence à mon cœur alors tout palpitant !
Je
vis mon vieux Chazay dans ses grands jours de fête
Comme au temps des écus… quand le vin ruisselait
Quand rôtissaient au four la dinde et le poulet
Et que le pot-au-feu cuisait sur la braisette.
O,
dîners de famille
! O ! festins des antan
Où chacun au dessert devenait un trouvère,
Où l’on tendait le poing… mais en tenant son
verre,
Chantant à l’unisson les refrains de ce temps !
Ah
! l’on vidait alors Grosbouts et Perrières
Ces nectars du coteau, humés très savamment,
Puis dégustés et bus religieusement
Par de fervents gourmets devant eux en prière !
Or donc on mariait le vin et la chanson :
Lui viveur bienfaisant, ardent et plein de verve,
Elle fille de France à l’esprit qu’on observe,
Unissant leurs vertus sous l’œil de l’échanson.
Et les gars entonnaient chacun une romance :
Couplets de Béranger, de Nadaud, de Dupont,
Les chants de Déroulède et son fameux clairon,
Dont la charge évoquait l’héroïsme de France
!
Puis
l’invité docile
essayait son couplet,
Mais essoufflé bientôt et manquant de mémoire,
Il s’arrêtait confus enterrant son histoire….
Ayant monté trop haut vers un ut aigrelet !
Cousines et cousins, tantes aux boucles grises
Rechantaient tous les ans leur unique chanson :
Naples, pont des soupirs, voyage à Robinson,
Casimir, les blés d’or ou le temps des cerises.
La
table était rustique
avec ses bancs de bois,
Mais si chacun n’avait les faveurs d’une chaise
Par contre le menu mettait les gens à l’aise…
Et le luxe coûteux …c’était bon pour les
rois !
O !
charmants souvenirs que ces fêtes locales,
Lorsque tous assemblés, les jeunes et les vieux
Défilaient au « Grand branle « en couples
radieux,
Et dansaient le quadrille en folles bacchanales.
Certes,
Grand-Père était en gaieté ce jour
là !
Coiffé d’un haut gibus, vêtu d’une relique
Dont la coupe évoquait l’ancienne République,
Il se montrait galant devant le falbala !
Grand-Mère dénichait
du fond de son armoire
Son beau châle tapis aux tons roses et verts
Que fière elle portait, oubliant ses travers,
Et le laissant tomber sur sa robe de moire.
Ici, je ne saurais retracer le Baboin
La fête originale, éclatante, historique,
Et sous les feux le soir trépidant et magique
Amenant par milliers des gens venant de loin….
Ma
plume de jeunesse un soir d’effervescence
Humblement essaya d’en rimer les tableaux.
Cortèges et tournois à mes yeux étaient
beaux
Honorant le sauveur de notre belle Hermance !
Douce époque lointaine aux jours d’enchantement,
Quand le Français de race était chez lui le Maître
Et que l’honnêteté qui failli disparaître
Anoblissait les cœurs…tout naturellement !
IV
Rêveur, je méditais
sur ces us et coutumes,
Comparant ce passé timide et désuet
Aux temps que nous vivons…Mais chut !…je suis muet,
On ne vit qu’au présent,
Les hier sont posthumes :
Et
puis tout mon bonheur n’était point satisfait ;
Je devais visiter en suivant mon programme
La vigne des garçons, le grand pré de la Dame…
Et bien d’autres trésors de ce bon vieux Chazay !
D’un pas d’archéologue, armé de
mon courage,
Parcourant les chemins laids, tortueux et noirs,
Je fis comme jadis le tour des vieux manoirs
Sous les murs effrités datant du moyen-Age.
Soudain je retrouvai le beau panorama
Qui s’offrait à mes yeux, inondé de lumière
;
J’écoutais les glouglous de l’eau de la rivière
Et d’un gai rossignol un chant qui me charma.
Son
gazouillis moqueur m’attira près de l’onde
;
Or, je suivis l’Azergues aux atours séduisants,
Passant gués et ruisseaux sous les aulnes luisants,
Léger comme l’Hindou sous le ciel de Golconde !
O !
Vallée admirable
aux sites curieux !
O rivière paisible et parfois rugissante,
Du Français n’es-tu pas l’image saisissante,
Calme, dormante ou bien torrent impétueux,
Je ne sais point comment je retrouverai la route
Me conduisant à Gage où survit un château,
Là, fouillant du regard le verdoyant coteau,
Je crus boire un instant son vin frais qui veloute.
Troublé, je contemplais les tons éblouissants
Et le visage clair de mon riant village,
Ses hauts clochers, ses tours, ses villas sous l’ombrage
Qu’en l’extase, mes yeux voyaient resplendissants !
Au
couchant j’admirai
les vergers et les vignes,
Mais vers chaque maisons de riche ou d’indigents
Je ne retrouvais plus les mêmes bonnes gens,
Tant estimés jadis, car ils en étaient dignes.
Hélas
! beaucoup dormaient sous le froid tumulus,
Et lorsque je passai vers le seuil de l’église,
Je fis une prière et fus, quoi qu’on en dise,
Heureux, moi…de pouvoir leur dire un Angélus !
Puis
le soir, lorsque seul, aux lueurs d’une flamme
Quand je crus reposer dans un profond sommeil,
Mon esprit jusqu’au jour se maintint en éveil
Devant mon vieux pays qui vivait en mon âme !
NICE, Novembre 1936.
Maintenant
que vous avez sous les yeux le poème entier de
notre compatriote, vous pouvez mieux juger du beau souffle qui l’anime
du commencement à la fin. Oui, Pierre Chaffange est un poète
dont nous pouvons être fiers. Ce qui accroît son mérite,
c’est qu’il est le fils de ses œuvres. A 14 ans,
comme il le dit lui même, il avait terminé ses études « scolaires » .Tout
le reste il l’a appris sans maître. Sous l’inspiration
d’un poète né, on devine une fine culture de
lettré et des sentiments d’une grande élévation
;
Pierre Chaffange honore notre petite patrie.
Qu’il accepte ici notre vive reconnaissance pour le très délicat
plaisir que la lecture de son beau poème nous a procuré !