Histoire

 

 

 

Poème de Pierre Chaffanges

 

Notre AZERGUES

Azelgo et Azelga;puis Azeugua et enfin Azergues ( eau bleue )

 

 

Lorsque j'étais gamin, insouciant, frivole,
Peu doué pour l'étude et très indépendant,
Vers l'Azergues j'allais, en douce... après l'école.
Car ma mère jugeait cet écart imprudent.

Plus tard, il y a longtemps, je partais pour la ville,
mais n'oubliant jamais mon vieux pays natal ;
J'y revins maintes fois, en homme plus docile,
Fouiller mes souvenirs, d'un cœur sentimental.

Puis, les cheveux blanchis et l'âme endolorie,
C'est encore au pays qu'aux heures de danger,
Pendant que nos soldats luttaient pour la patrie,
Que je vins près des miens...sans me décourager.

Et je voulus revoir l'Azergues séduisante,
Ecouter les grillons dans les prés odorants ;
Je voulus me griser de la chanson plaisante
Qu'égrennent ses galets roulés par les courants.

L'âme attristée un soir, je sentis la vieillesse
M'accabler de son poids en ces lieux séducteurs,
Et je m'en suis allé, moins des cris de jeunesse,
Laissant à leurs ébats naïades et jouteurs...

Alors que s'estompaient les ors du crépuscule,
Je repris le sentier sous les vieux saules verts,
En pensant que mes ans me rendaient ridicule
De songer au Printemps, à mes derniers hivers.

Mais après une nuit où le cerveau repose,
où le sommeil nous donne un heureux réconfort,
Je parcourus les bois, dès l'aube fraîche et rose,
Oubliant ma faiblesse et me sentant fort.

Et là, se mélangeait le chant des tourterelles,
A celui des pinsons, merles et rossignols ;
Dans ce joyeux concert aux vives ritournelles,
Les trilles s'envolaient sans dièses ni bémols.

Foulant le serpolet, le thym, la saponaire,
J'allais l'esprit distrait comme un heureux flâneur,
Quand j'entendis le chant du coucou légendaire,
Chant cruel, nous dit-on ou qui porte-bonheur !

Or, curieuse et furtive, arrivait une pie,
Qui de son air railleur, près de moi jacassait ;
Je voulus m'approcher, mais alors la chipie
S'envolais sous mon nez et puis disparaissait !

Les peupliers géants frissonnaient sus le brise,
Et dans l'eau se mirait un aulne verdoyant ;
Sur le sable, un lézard, auprès d'une "larmise",
Semblait préoccupé par son charme attrayant.

Puis gonflé d'un air pur, sous l'accueillant feuillage,
Mes pensées imprécises voguaient vers les antan,
Quand jeunes écoliers, polissons du village,
Nous trouvions en ces lieux nos plaisirs palpitants.

Mais hélas ! un soleil qui rayonnait sans cesse,
De l'Azergues asséchait le lit hospitalier,
Où le pêcheur malin, avec un peu d'adresse,
Par ci, par là trouvait à se ravitailler.

Lorsque je vis ses gués où l'on passait sans crainte,
Et qu'elle n'était plus qu'un ruisseau qui mourait,
Son murmure affaibli me semblant une plainte,
Emu, j'eus l'impression que mon âme en pleurait.

Alors comme affligé, contrit par son absence,
J'accusai le progrès qui détourna ses eaux,
Les déversant à flots dans tout le canton d'Anse,
Pour que de fins matois… baptisent leurs tonneaux !

Puis sachant quels besoins réclamaient nos communes,
Moi-même eus désiré ce progrès bienfaiteur,
Car l'eau dans la maison valait d'autres fortunes,
Et louons pour ce fait, son initiateur.

Mais mon penser folâtre allant à l'aventure,
Mon imagination ver un futur… lointain,
Je me demandai si, par autant de capture,
Ne disparaîtrait pas l'Azergues un beau matin ?

Alors mon vieux Chazay, que serais-tu sans elle ?
Nous n'entendrions plus ses frétillants glouglous,
Et l'hiver seul pourrait, quand la neige ruisselle,
La ramener furieuse en roulant ses cailloux.

Mais ce ne serait plus cette douce harmonie,
Ce chant de la nature aux beaux jours de l'été,
Et les oiseaux fuyant la rive à l'agonie,
S'en iraient à regret loin du lit déserté.

Nous n'entendrions plus piailler les buandières,
Plus jamais les échos des coups de battoir,
Ni ces cancans joyeux des braves lavandières,
A genoux sur leur banc, la main sur le frottoir.

Nous ne reverrions plus les couples en vacances,
Assis dans les bosquets devant le couvert mis
Ou chantonnant à deux l'amoureuse romance,
Avant que le grand air… les eussent endormis.

Nous ne reverrions plus l'enfant que l'on amuse
Au bord de l'eau courante et que tient sa maman,
Ni vaches, ni moutons s'abreuver, mais… j'abuse,
Pour tant j'ai vu cela, c'était ma foi charmant.

Mais je viens de rêver, car notre Azergues aimable
Coulera malgré tout, dans son val enchanté ;
Nous y verrons les gueux boire cette eau potable…
Aux bruits de sa chanson sous les soleils d'été.

 

Pierre CHAFFANGE.

                                                       Nice, mars 1946

 

 

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