Chazay

 

 

 
Chazay et ses légendes
 

 

Ecrit par l'abbé Prud'Homme

 

LE BABOIN DE CHAZAY


En l'année 1348, la peste décimait Paris, la ville devenait déserte, les mendiants et les filles de joie l'habitaient seuls encore.
Une femme encore jeune, aux yeux noirs et vifs, traversait le cloître solitaire de St-Opportune. Dans la rue Raoul-Lemercier, devant la porte d'un barbier-étuviste, elle entend les gémissements d'un enfant. Elle monte un étroit escalier et voit sur un grabat une femme mourante, et près d'elle, son jeune enfant, Théodore Sautefort, âgé de 6 à 7 ans.

La mourante confie cet enfant à l'étrangère, qui promet d'en prendre soin. Puis, tirant de son sein une figurine de plomb attachée à un ruban, elle le passe autour du cou de son fils, et expira.
l'étrangère emmena l'enfant, qui pleurait, fit sur la porte une croix blanche, puis traversant le charnier des Innocents, longeant la rue St-Denis, elle arriva par la rue Saint-Sauveur dans la cour des Miracles.

La cour des Miracles, repaire des pillards, bohémiens, voleuses d'enfants, mendiants, commençait d'être abandonnée; la peste y avait kit une ample moisson, les uns y attendaient encore de meilleurs jours, d'autres étaient air le point de gagner la province.
Cette femme entra avec l'enfant dans une salle basse, éclairée par une torche. Dix hommes ou femmes étaient groupés autour d'un homme plein de force et de vigueur, c'était leur chef.

- Azza, montre-nous ce gars que tu viens de dérober1 dit le chef à la nouvelle venue.
- Maitre Kiloë, répond Ana, cet enfant sera mien, il me rappelle mon fils, malheur à qui le touche, si ta veux le battre, je te quitte et l'emmène avec moi.
- Ne t'emporte pas, répond Kiloë, buvons plutôt, menons joyeuse vie! Jacquemard, sers à la ronde. Demain nous partons pour la province faire des jongleries, dire la bonne aventure.
Et ribauds et ribaudes, après de copieuses libations accompagnées de chansons et de danses, s'endormirent sur la terre nue.

II


Le jeune Sautefort devint donc baladin sous la direction de Kiloë, qu'Azza avait suivi par amour. Leur vie fût misérable, ils commirent toutes sortes de brigandages, furent massacrés par les paysans ou mis en prison; il ne resta plus qu'Azza avec son protégé, auquel elle s'attacha comme à son propre fils.
Elle vint à Troyes, se fit chambrière aux étuves, ne put y rester longtemps à cause de son esprit aventureux, visita Châtillon-sur-Seine, Lyon, Châlons-sur-Saône, Avignon, où elle prédit l'avenir, hanta les devins, fut accusée de sorcellerie et mis en prison.
Peu auparavant, en 1360 le jeune Sautefort, âgé de 18 ans, beau et fort, s'était mis au service d'un capitaine d'une compagnie flanche, qu'il abandonna bientôt à cause de sa cruauté, car il pillait et rançonnait les faibles.

Il le quitta en Bresse, et s'enfuit dans une forêt aux environs de Lyon.
Assis au pied d'un arbre, il réfléchissait aux moyens de retourner vers Azza, lorsqu'il entend des cris de détresse et aperçoit un homme fuyant en enlevant une demoiselle. Se précipiter sur lui et le renverser de cheval fut l'affaire d'un instant. La jeune fille lui promet toutes ses richesses s’il la sauve. Le cavalier se relève furieux, fond sur Sautefort, l'épée à la main. Sautefort tire sa dague, et, après un combat acharné, l'enfonce dans la poitrine du ravisseur, qu'il laisse étendu sur la place.

La demoiselle, tremblante, le remercie et le prie de l'accompagner chez sa tante, abbesse du monastère de St-Pierre à Lyon. En route, elle lui apprend qu'elle est de haute naissance et orpheline, qu'elle se nomme Ermance, qu'il ne lui reste que cette tante et un oncle, le seigneur de Châtillon, qui guerroie contre les Anglais.
Elle lui raconte aussi que le comte de Dombes, dont elle avait refusé sa main, l'avait enlevée traîtreusement comme il venait de le voir.

Le jeune homme lui raconte sa vie à son tour, et la similitude de leur position provoque leur confiance, et Ermance, remarquant sa noble figure, sa beauté, lui presse la main avec émotion, l'assurant que sa tante lui fournirait ce qui lui serait nécessaire.
L'abbesse reçut la fille de sa sœur avec affection, remercia son libérateur, mais, d'après l'expression vive et ardente de la reconnaissance de la demoiselle, elle résolut d'éloigner le jeune homme auquel elle offrit de l'argent, que Sautefort accepta en partie. Puis il partit pour Avignon, à la recherche d'Azza, après avoir jeté en soupirant un regard d'adieu à la belle Ermance.


III


La petite bourgade de Chazay s'élève sur le penchant d'une colline, au milieu d'un des plus charmants paysages de la province lyonnaise. A ses pieds coule la jolie mais capricieuse rivière d'Azergues. En face, c'est Civrieux avec son vieux donjon féodal. Plus loin, Marcilly, qui tire son nom de Marcellus; Lissieux, qui montre fièrement la belle porte du manoir de ses comtes; plus loin encore, Lozanne, qui ressemble à une petite ville de Suisse avec ses montagnes.

Puis, Si vous rencontrez l'Azergues au-delà de son confluent avec la Brevenne, le vieux manoir de Châtillon, ancien séjour de l'honneur et de la chevalerie, apparaît comme un géant. Bâti sur un rocher à pic, le vieux castel élève vers le ciel ses tours massives et crénelées. Tandis que son grand beffroi carré et la flèche élégante de la chapelle se réfléchissent dans les eaux de l'Azergues.

A quelque distance, Courbeville, noble demeure des preux défenseurs du St-Sépulcre.
A l'ouest, l'horizon est couronné par les monts sévères du Forez, tandis que les coteaux plus riants des montagnes du Beaujolais, avec leurs contours arrondis, s'enfuient vers la Bourgogne, laissant à droite le vieux château de Trévoux et la tranquille Saône.

Un jour donc, en 1364, toute la vallée de l'Azergues était en fête. Tous les habitants nobles et vilains, en costumes éblouissants, se rendaient à Chazay où il y avait grande réjouissance pour célébrer l'avènement au trône du roi Chartes V, fils de Jean-le-Bon.
Des baladins donnaient un spectacle montrant des singes gambadant, jouant des scènes théâtrales. On voyait le Juif errant et sa barbe blanche. Dieu le père, les Saints, la Vierge et nue troupe de petits anges.

Enfin un ours énorme se préparait à faire ses tours, quand soudain retentissent ces cris perçants : Au feu! Au feu! Le château était la proie des flammes; toute la foule s'y précipita.
Des cris de désespoir partent d'une tourelle élevée; à la fenêtre apparaissent deux femmes affolées, c'étaient les nobles dames suzeraines de Châtillon et de Chazay.

Personne n'osait s'exposer, le feu allait tout engloutir, lorsque l'ours, quittant sa corde, saisit une échelle, rejette sur ses épaules sa tête d'animal pour ne montrer qu'une noble figure de jeune homme, et monte courageusement au secours de ces infortunées.
D'une main robuste il saisit la plus jeune, la prend dans ses bras, redescend avec son précieux fardeau et remonte. Déjà il place les pieds sur les premiers échelons, ayant l'autre dame sur ses épaules, lorsque des cris d'enfant se font entendre : Sauvez mon fils! s'écrie la vicomtesse de Châtillon.

Le péril était immense, le jeune homme intrépide ne calcule rien; une poutre brûlante roule à ses pieds, rien ne l'arrête: il saisit l'enfant, le retient par les habits avec ses dents, prend la mère sur ses épaules. Un instant après ils étaient tous sauvés! Mais le feu parcourt la peau d'animal qu'il porte, et aussitôt il se précipite dans le fossé du château, dont l'eau frémit en rejetant une légère fumée.
On lui prodigue des secours, on le comble d'éloges, on lui fournit des vêtements, et une collecte abondante est faite en sa faveur.

IV

Quelques jours après, un écuyer vint chercher le courageux baladin pour le conduire devant les hautes et puissantes dames souveraines de Châtillon et de Chazay.
Sautefort, car c'était lui, se prépara de son mieux à cette réception. Il avait reconnu Ermance; son cœur, plein de souvenirs, battait avec violence. Vêtu d'habits magnifiques apportés par l'écuyer venu le chercher, et laissant voir sa taille avantageuse, armé d'une petite dague à poignée d'argent ciselée, il vint mettre un genou en terre devant la suzeraine de Châtillon, assise dans sa chambre avec la dame de Chazay, sa nièce.
Oh ciel ! s'écrie alors la jeune dame. Est-ce vous qui m'avez sauvé la vie.

- Oui, noble Ermance, répond-il avec ardeur.

Et Ermance racontait à la dame de Châtillon son enlèvement par le déloyal comte de Dombes et sa délivrance par Sautefort.
“ Jeune homme, dit la dame de Châtillon à Sautefort, rougissant et baissant modestement les yeux, comptez sur notre reconnaissance ; dès ce jour, vous avez chez moi le poste d'écuyer de bouche, avec un traitement honorable. ”

Les dames lui avaient demandé le récit de ses aventures et furent charmées de son esprit et de sa bonne mine, et le forcèrent d'accepter cent écus à la couronne.

Toute la troupe des jongleurs fut mandée au château. Sur le point de se séparer d'eux, Sautefort leur serra affectueusement la main, en leur faisant don du produit de la collecte faite en sa faveur et des cent écus à la couronne, et en leur recommandant, Si quelqu'un d'eux rencontrait Azza la Bohémienne, de songer à les réunir, et de se souvenir tous du Baboin.

Le Baboin était le nom donné aux singes et à l'ours des jongleurs. Ce nom resta à Sautefort.
A quelque temps de là, Jean-Pol Guillaume, sire de Châtillon, revint de Londres, où il avait partagé la captivité du roi Jean.
C'était un noble seigneur et un preux chevalier, qui combla d’éloges le libérateur de sa femme, de son fils et de sa nièce lui promettant ses bontés et sa reconnaissance.

Chaque jour, le jeune homme devenait plus cher à ses bienfaiteurs en même temps qu'il devenait plus gracieux et plus aimable, surtout envers la gentille Ermance, qu'il adorait dans son cœur en secret.
Ce que remarquant, Ermance qui l'aimait aussi, disait en soupirant: “ Las! que n'est-il issu de noble lignée. ”

Le sire de Châtillon menait le Baboin à la chasse, et au moment du danger, plusieurs fois il fut frappé de son courage et de sa hardiesse.
Il le traitait en favori, et lui avait appris le maniement de la lance et des armes de guerre.

La guerre recommençant avec les Anglais, il le fit même son écuyer, ce qu'il accepta avec enthousiasme, car son père avait été tué à Crécy par les Anglais, suivant ce que lui avait souvent répété sa mère.


V

Cependant, Baboin devenait triste et rêveur. Ermance s'en aperçût et lui en demanda la cause.

- Belle damoiselle, répondit-il, un mal sans remède me dévore, j'aime une noble dame, je voudrais la fuir, et ne puis la quitter, pour ce, j'ai résolu de partir en guerre et de mourir pour elle.

La jeune comtesse voulut savoir quelle était la dame de ses pensées:

- C'est vous, noble dame, que j'aime, dit-il avec transport, vaincu par ses instances.
- Je n'en crois rien, fit-elle, en se reculant, et cherchant à cacher son émotion, vous me cachez le nom de votre dame.
- Point, c'est vous que j'adore! Oh! Si je pouvais être aimé ! A force d’exploits, je m'élèverai vers vous.
- Ayez courage, répond-elle, éclatantes prouesses séduisent les nobles dames. Ayez confiance en Dieu, sire écuyer, on priera pour vous.

Et elle s’enfuit précipitamment, toute confuse d'avoir laissé paraître ses sentiments.

La veille de partir; l'écuyer du sire de châtillon pressait la main d'une femme voilée, qui paraissait jeune et belle, qui lui dit adieu et lui remit une écharpe où était brodé son chiffre on or, on lui recommandant de la porter sous son pourpoint.


VI

Guillaume suivit de son écuyer et de deux cents lances, partit pour rejoindre Bertrand Duguesclin, qui poussait vigoureusement les Anglais.

Ils le rencontrèrent à Laval, avec Olivier de Clisson, le chevalier Beaumanoir, les sires de Cancy, de Laval, et beaucoup d'autres seigneurs de la fleur de Lys.
Le lendemain même, était jour de bataille; au point du jour, les deux armées s'attaquèrent, les Français criaient:
“ Notre Dame! Duguesclin! ” et les Anglais: “ Angleterre St-Georges ”.
Les ennemis sont mis en déroute. Le connétable, le sire de Châtillon et son écuyer; et une foule de seigneurs, s'élancent à leur poursuite, s'attachant surtout à leur général Grandson.
Sur le conseil de Baboin, le sire de Châtillon et son écuyer s'élançant avec la rapidité d'une flèche, coupent la retraite au général, mais environnés aussitôt, ils combattent seuls contre un groupe d'ennemis.

Après s'être défendus comme des lions, après que le vicomte de Châtillon eût sa vie sauvée par son écuyer, ils furent enfin délivrés par le connétable et ses chevaliers.
Duguesclin félicita chaudement Baboin d'avoir sauvé la vie à son maître.


- Monseigneur connétable, reprit Baboin je suis tout glorieux de votre éloge, votre présence fait croître les héros
Après cette réponse aussi courtoise que brave, Duguesclin les invita à souper avec lui.

Le connétable montra autant de gaieté à table que de bravoure sur le champ de bataille.
S'adressant à l'écuyer de Guillaume, qui avait si bien terrassé Grandson, il lui demanda son nom, en lui promettant les éperons de chevalier.

On m'appelle Baboin, autrefois on me nommait Sautefort, répondit-il.
- Sautefort! cria le vieux sire de Coucy, voilà bien les traits de mon vieux frère d'armes mort à Crécy. Où demeurait ton père? Ses armes ne sont-elles pas deux fleurs de lys et une épée d'argent, avec cette devise: “ Honneur et fidélité. ”

Point n'ai connu mon père, répond Baboin, une pauvre femme ma recueilli.
- Piteuse chose, dit Coucy, Si brave homme d'armes doit avoir noble souche.

- A sa santé, cria le connétable, honneur aux braves!
Profitant de sa victoire Duguesclin prit bientôt Poitiers Thouars, chassa les Anglais du Maine et du Poitou, puis il vînt vers la Gascogne assiéger Bergerac, ou les Anglais s 'étaient préparés à une vigoureuse résistance.

Après avoir perdu bien des troupes, Duguesclin ordonna un assaut général. Les chevaliers s'élancent, les Anglais les repoussent, Duguesclin les ramènent en leur disant que la table est mise.
Les chevaliers reprennent courage Châtillon et son écuyer au premier rang. Après des prodiges de valeur, ils sont enfin tous les deux au haut du rempart.

Leur lance leur ouvre un passage dans les rangs ennemis, les cadavres s’amoncellent à leurs pieds. Ils vont être écrasés par le nombre. “ A la rescousse ” s'écrie Baboin en plantant l’étendard de son maître sur la muraille.

Les Anglais fondent sur lui , sa lance les menace tous , chaque coup porte la mort, mais ses forces s'épuisent et son sang rougit son armure. Cependant les Français s'élancent à leur secours ils inondent les remparts et refoulent les ennemis. La ville est prise.

Le connétable veut aussitôt serrer dans ses bras le sire de Châtillon, lui déclarant que c'est à lui que l'on doit la prise de la ville et l'honneur de la journée.
Puis, s'adressant à son écuyer, il le fait chevalier au nom de la France, de Dieu, de Notre-Dame et du gracieux souverain Chartes V, au nom du père, du fils et du St-Esprit, puis il le frappe du revers de son épée et lui donne l'accolade.

- Monseigneur connétable, dit Baboin bondissant de joie, plus ne souhaite rien que d’être digne un jour des faveurs de ma dame.

Rentré dans la tente, Guillaume voulut examiner les blessures de son écuyer qui s'y refusait en présence de son maître. Forcé d'obéir , il pâlit lorsque le sire de Châtillon aperçût l'écharpe d'Ermance et une petite figurine en plomb qui y était attachée, à moitié brisée par un coup de lance.
L'écuyer, après avoir refusé de dire au sire de Châtillon comment il était possesseur de l'écharpe de sa nièce, vaincu par ses instances, finit par avouer l'avoir dérobée, en lui déclarant son amour pour Ermance, tout en lui demandant pardon de son audace.
Châtillon, examinant la petite figure de plomb, trouva dans sa cavité un anneau d'or de chevalier, une boucle de cheveux blonds et un petit rouleau de parchemin.

- C'est ma mère qui m'a remis cela, répond le Baboin au sire de Châtillon, qui lui demandait la provenance de cet objet.
- Oui-dà, poursuivit Châtillon, deux fleurs de lys et une épée d'argent sur le seing. Holà! vite un maître clerc pour lire la devise contenue sur le parchemin.

Le clerc mandé lut ces mots : “ Cet anneau est celui de ton père tué à Crécy ; ces cheveux sont ceux de ta mère, c'est tout l'héritage des Sautefort. ” Et ces mots : “ Honneur et fidélité. ”

- Par le Christ, s'écrie Châtillon, Coucy disait la vérité : te voilà chevalier de Sautefort. Que je t'embrasse !

Sautefort, plus heureux encore, ne songeait pas à sa blessure, mais à la joie de pouvoir offrir un nom illustre à la belle Ermance, et versait des larmes au souvenir de son père et de sa mère.

- Mort aux Anglais qui ont tué mon père, s'écria-t-il en se levant.

Puis demandant pardon à Châtillon, qui n'osa le gronder de lui avoir célé ses pensées pour la belle Ermance, tout en ne s'opposant point à ses désirs, ils se livra aux physiciens, qui jugèrent la blessure peu dangereuse, et comme la fin de la campagne était arrivée, il put se rétablir promptement.


VII


Le sire de Châtillon, de retour dans son manoir, racontait à sa famille et à ses amis les hauts faits des chevaliers et surtout de son écuyer, faisant ressortir son nouveau titre de chevalier, et surtout la découverte de sa noble lignée.
Le nouveau chevalier, debout, était appuyé sur la bannière de son maître ; sa pose mâle et fière faisait ressortir la noblesse de ses traits.

Ses yeux, animés d'un feu martial ne quittaient point la belle Ermance, qui, sous les regards du jeune homme, sentait son cœur battre avec violence et soulever la soie de son corsage.
Noble dame, dit le chevalier de Sautefort, s'approchant d'elle, c'est à votre souvenir que je dois le courage qui m'a fait retrouver le nom de mes aïeux, mais de quelle noble ardeur ne serais-je pas rempli, Si vous daignez devenir la dame de mon amour, comme l'êtes depuis longtemps celle de mes pensées.
Ermance, timidement émue, regardait son oncle, abandonnant sa main au chevalier qui la couvrait de baisers.

- Belle nièce, dit Châtillon, le noble Sautefort t'aime, il est vaillant chevalier ; as-tu déjà fait le choix d'un époux ?
- Bel oncle, répond Ermance, que le chevalier de Sautefort soit mon époux, s'il vous agrée.

Sautefort, plein de joie, pressait amoureusement les mains d'Ermance.

- Ça, s'écrie le sire, songe, ami, à mériter la main de ma nièce par de nobles faits. Le duc de Bourgogne fait publier une passe d'armes, en sa ville de Dijon, nous irons avec les dames. Sois vainqueur, et sois aussi l'honneur de ta belle épouse.
Au tournoi, le chevalier de Sautefort, dans un brillant costume aux armes de ses pères, s'attira l'affection des chevaliers et l'admiration des dames.

Cependant, au milieu de la lice, se présente un chevalier qui lui demande le combat à outrance, avec les armes acérées. Ermance pousse un faible cri en pâlissant : elle a reconnu le comte de Dombes. Les deux champions, égaux en force, vigueur et adresse, luttent longtemps.

Enfin le chevalier, par un coup habile, frappe son ennemi au défaut de la cuirasse, et le comte de Dombes, blessé à mort, tombe dans la poussière, vomissant des flots de sang.
Le chevalier de Sautefort, déclaré vainqueur, vient déposer sa couronne aux pieds de la comtesse Ermance.
Le soir de cette mémorable journée, une femme enveloppée dans une longue pelisse, vint trouver le chevalier. C'était Azza !
- Ma mère, cria-t-il, vous resterez avec moi pour partager mon bonheur. Je suis heureux maintenant, j'ai retrouvé le glorieux nom de ma famille. Venez que je vous présente à l'illustre seigneur qui m'a servi de père.

Le sire de Châtillon et les deux dames, admirant le noble cœur de Sautefort, prièrent Azza de ne plus se séparer de son fils d'adoption, à quoi elle consentit volontiers, trouvant ainsi un asile pour sa vieillesse.

Quelques jours après, le chevalier de Sautefort conduisit à l'hôtel haute et puissante comtesse Ermance, dame suzeraine de Chazay.
Il y eut à cette occasion des fêtes magnifiques, embellies par la présence de ce qu'il y avait de plus noble et de plus galants chevaliers dans la province. Ces fêtes eurent lieu au manoir de Châtillon.

Fidèle à sa promesse, Sautefort poursuivit les Anglais en toutes rencontres. A la tête des troupes du roi, il les chassa de la Picardie et ne leur laissa que Brest, Bordeaux et Calais. Le roi Charles V le fit capitaine de ses gardes et le combla d'honneurs et de richesses.
Au sein de la prospérité, le sire de Chazay n'avait pas oublié le temps de ses infortunes, il secourut les malheureux, fit construire un hôpital (il existe encore et appartient à la commune) et des maisons de charité. Connaissant le triste sort des orphelins, il fonda une rente perpétuelle pour les garçons et les filles sans dot; elle subsiste encore de nos jours, mais elle est réduite à la modique somme de 200 fr.

Les habitants reconnaissants lui élevèrent une statue en bronze. Depuis peu, une nouvelle statue le représentant dans son costume de guerrier, armé de toutes pièces, la lance à la main, à été érigée par les soins du maire, et sur une souscription des habitants.
Elle est placée sur une vieille porte de la ville, au lieu dit des Porteries.
Le souvenir du sire de Sautefort, désigné sous le nom de Baboin de Chazay, et toujours vivant dans la contrée.

 

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