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Chazay |
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Chazay
et ses légendes
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Ecrit par l'abbé Prud'Homme
LE BABOIN DE CHAZAY
La mourante confie
cet enfant à l'étrangère, qui
promet d'en prendre soin. Puis, tirant de son sein une figurine de plomb
attachée à un ruban, elle le passe autour du cou de
son fils, et expira. La cour des Miracles,
repaire des pillards, bohémiens, voleuses
d'enfants, mendiants, commençait d'être abandonnée;
la peste y avait kit une ample moisson, les uns y attendaient encore
de meilleurs jours, d'autres étaient air le point de gagner
la province. - Azza, montre-nous
ce gars que tu viens de dérober1 dit le chef
à la nouvelle venue. II
Il le quitta en Bresse,
et s'enfuit dans une forêt aux environs
de Lyon. La demoiselle, tremblante,
le remercie et le prie de l'accompagner chez sa tante, abbesse
du monastère de St-Pierre à Lyon. En
route, elle lui apprend qu'elle est de haute naissance et orpheline,
qu'elle se nomme Ermance, qu'il ne lui reste que cette tante et un oncle,
le seigneur de Châtillon, qui guerroie contre les Anglais. Le jeune homme lui
raconte sa vie à son tour, et la similitude
de leur position provoque leur confiance, et Ermance, remarquant sa
noble figure, sa beauté, lui presse la main avec émotion,
l'assurant que sa tante lui fournirait ce qui lui serait nécessaire.
Puis,
Si vous rencontrez l'Azergues au-delà de son confluent avec la
Brevenne, le vieux manoir de Châtillon, ancien séjour de
l'honneur et de la chevalerie, apparaît comme un géant.
Bâti sur un rocher à pic, le vieux castel élève
vers le ciel ses tours massives et crénelées. Tandis que
son grand beffroi carré et la flèche élégante
de la chapelle se réfléchissent dans les eaux de l'Azergues. A quelque distance,
Courbeville, noble demeure des preux défenseurs
du St-Sépulcre. Un jour donc, en 1364,
toute la vallée de l'Azergues était
en fête. Tous les habitants nobles et vilains, en costumes éblouissants,
se rendaient à Chazay où il y avait grande réjouissance
pour célébrer l'avènement au trône du
roi Chartes V, fils de Jean-le-Bon. Enfin un ours énorme se préparait à faire ses tours,
quand soudain retentissent ces cris perçants : Au feu! Au feu!
Le château était la proie des flammes; toute la foule s'y
précipita. Personne n'osait s'exposer,
le feu allait tout engloutir, lorsque l'ours, quittant sa corde,
saisit une échelle, rejette sur ses épaules
sa tête d'animal pour ne montrer qu'une noble figure de jeune
homme, et monte courageusement au secours de ces infortunées. Le péril était immense, le jeune homme intrépide
ne calcule rien; une poutre brûlante roule à ses pieds,
rien ne l'arrête: il saisit l'enfant, le retient par les habits
avec ses dents, prend la mère sur ses épaules. Un instant
après ils étaient tous sauvés! Mais le feu parcourt
la peau d'animal qu'il porte, et aussitôt il se précipite
dans le fossé du château, dont l'eau frémit en rejetant
une légère fumée. IV Quelques jours après,
un écuyer vint chercher le courageux baladin pour le conduire
devant les hautes et puissantes dames souveraines de Châtillon
et de Chazay. - Oui, noble Ermance, répond-il avec ardeur. Et Ermance racontait
à la dame de Châtillon son enlèvement par le déloyal
comte de Dombes et sa délivrance par Sautefort. Les dames lui avaient
demandé le récit de ses aventures et furent charmées
de son esprit et de sa bonne mine, et le forcèrent d'accepter
cent écus à la couronne. Toute la troupe des
jongleurs fut mandée au château. Sur
le point de se séparer d'eux, Sautefort leur serra affectueusement
la main, en leur faisant don du produit de la collecte faite en sa faveur
et des cent écus à la couronne, et en leur recommandant,
Si quelqu'un d'eux rencontrait Azza la Bohémienne, de songer
à les réunir, et de se souvenir tous du Baboin. Le Baboin était le nom donné aux singes et à l'ours
des jongleurs. Ce nom resta à Sautefort. Chaque jour, le jeune
homme devenait plus cher à ses bienfaiteurs
en même temps qu'il devenait plus gracieux et plus aimable, surtout
envers la gentille Ermance, qu'il adorait dans son cœur
en secret. Le sire de Châtillon menait le Baboin à la chasse, et au
moment du danger, plusieurs fois il fut frappé de son
courage et de sa hardiesse. La guerre recommençant avec les Anglais, il le fit même son écuyer, ce qu'il accepta avec enthousiasme, car son père avait été tué à Crécy par les Anglais, suivant ce que lui avait souvent répété sa mère.
Cependant, Baboin devenait triste et rêveur. Ermance s'en aperçût et lui en demanda la cause. - Belle damoiselle, répondit-il, un mal sans remède me dévore, j'aime une noble dame, je voudrais la fuir, et ne puis la quitter, pour ce, j'ai résolu de partir en guerre et de mourir pour elle. La jeune comtesse voulut savoir quelle était la dame de ses pensées: - C'est vous, noble
dame, que j'aime, dit-il avec transport, vaincu par ses instances. Et elle s’enfuit précipitamment, toute confuse d'avoir laissé paraître ses sentiments. La veille de partir; l'écuyer du sire de châtillon pressait la main d'une femme voilée, qui paraissait jeune et belle, qui lui dit adieu et lui remit une écharpe où était brodé son chiffre on or, on lui recommandant de la porter sous son pourpoint.
Guillaume suivit de
son écuyer et de deux cents lances, partit pour rejoindre Bertrand
Duguesclin, qui poussait vigoureusement les Anglais. Ils le rencontrèrent à Laval,
avec Olivier de Clisson, le chevalier Beaumanoir, les sires de
Cancy, de Laval, et beaucoup d'autres
seigneurs de la fleur de Lys. Après
s'être défendus comme des lions, après que le vicomte
de Châtillon eût sa vie sauvée par son écuyer,
ils furent enfin délivrés par le connétable
et ses chevaliers.
Le connétable montra autant de gaieté à table
que de bravoure sur le champ de bataille. On m'appelle Baboin,
autrefois on me nommait Sautefort, répondit-il. Point n'ai connu mon
père, répond Baboin, une
pauvre femme ma recueilli. - A sa santé, cria le connétable,
honneur aux braves! Après avoir perdu bien des troupes, Duguesclin ordonna un assaut
général. Les chevaliers s'élancent, les Anglais
les repoussent, Duguesclin les ramènent en leur
disant que la table est mise. Leur lance leur ouvre un passage dans les rangs ennemis, les cadavres s’amoncellent à leurs pieds. Ils vont être écrasés par le nombre. “ A la rescousse ” s'écrie Baboin en plantant l’étendard de son maître sur la muraille. Les Anglais fondent
sur lui , sa lance les menace tous , chaque coup porte la mort,
mais ses forces s'épuisent
et son sang rougit son armure. Cependant les Français s'élancent
à leur secours ils inondent les remparts et refoulent les ennemis.
La ville est prise. Le connétable veut aussitôt serrer dans ses bras le sire
de Châtillon, lui déclarant que c'est à lui que
l'on doit la prise de la ville et l'honneur de la journée. - Monseigneur connétable, dit Baboin bondissant de joie, plus ne souhaite rien que d’être digne un jour des faveurs de ma dame. Rentré dans
la tente, Guillaume voulut examiner les blessures de son écuyer
qui s'y refusait en présence de son maître. Forcé
d'obéir , il pâlit lorsque le sire de Châtillon aperçût
l'écharpe d'Ermance et une petite figurine en plomb qui y était
attachée, à moitié brisée par un coup de
lance. - C'est ma mère
qui m'a remis cela, répond le Baboin au sire de Châtillon,
qui lui demandait la provenance de cet objet. Le clerc mandé lut ces mots : “ Cet anneau est celui de ton père tué à Crécy ; ces cheveux sont ceux de ta mère, c'est tout l'héritage des Sautefort. ” Et ces mots : “ Honneur et fidélité. ” - Par le Christ, s'écrie Châtillon, Coucy disait la vérité : te voilà chevalier de Sautefort. Que je t'embrasse ! Sautefort, plus heureux encore, ne songeait pas à sa blessure, mais à la joie de pouvoir offrir un nom illustre à la belle Ermance, et versait des larmes au souvenir de son père et de sa mère. - Mort aux Anglais qui ont tué mon père, s'écria-t-il en se levant. Puis demandant pardon à Châtillon, qui n'osa le gronder de lui avoir célé ses pensées pour la belle Ermance, tout en ne s'opposant point à ses désirs, ils se livra aux physiciens, qui jugèrent la blessure peu dangereuse, et comme la fin de la campagne était arrivée, il put se rétablir promptement.
Ses yeux, animés d'un feu martial ne quittaient point la belle
Ermance, qui, sous les regards du jeune homme, sentait son cœur
battre avec violence et soulever la soie de son corsage. - Belle nièce,
dit Châtillon, le noble Sautefort t'aime, il est vaillant chevalier
; as-tu déjà fait le choix d'un époux ? Sautefort, plein de joie, pressait amoureusement les mains d'Ermance. - Ça, s'écrie
le sire, songe, ami, à mériter la main de ma nièce
par de nobles faits. Le duc de Bourgogne fait publier une passe d'armes,
en sa ville de Dijon, nous irons avec les dames. Sois vainqueur, et
sois aussi l'honneur de ta belle épouse. Cependant, au milieu
de la lice, se présente un chevalier qui
lui demande le combat à outrance, avec les armes acérées.
Ermance pousse un faible cri en pâlissant : elle a reconnu le
comte de Dombes. Les deux champions, égaux en force, vigueur
et adresse, luttent longtemps. Enfin le chevalier,
par un coup habile, frappe son ennemi au défaut
de la cuirasse, et le comte de Dombes, blessé à mort,
tombe dans la poussière, vomissant des flots de sang. Le sire de Châtillon et les deux dames, admirant le noble cœur
de Sautefort, prièrent Azza de ne plus se séparer de son
fils d'adoption, à quoi elle consentit volontiers, trouvant
ainsi un asile pour sa vieillesse. Quelques jours après, le chevalier de Sautefort conduisit à
l'hôtel haute et puissante comtesse Ermance, dame suzeraine
de Chazay. Fidèle à sa promesse, Sautefort poursuivit les Anglais
en toutes rencontres. A la tête des troupes du roi,
il les chassa de la Picardie et ne leur laissa que Brest,
Bordeaux
et
Calais. Le roi
Charles V le fit capitaine de ses gardes et le combla d'honneurs
et de richesses. Les habitants reconnaissants
lui élevèrent une statue
en bronze. Depuis peu, une nouvelle statue le représentant dans
son costume de guerrier, armé de toutes pièces, la lance
à la main, à été érigée par
les soins du maire, et sur une souscription des habitants.
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