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Chazay |
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La
rivière Azergues
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CHAZAY D’AZERGUES Filles qui n’ont
vu le Babouin I Il est à quelques lieues de Lyon une ravissante vallée que le ciel a comblée de tous ses trésors, où l'air est presque toujours doux et pur, la nature belle et souriante. Une charmante rivière l'arrose, et caresse de ses eaux, claires comme le cristal, des collines sinueuses sur lesquelles sont bâtis un grand nombre de villages pittoresques. Cette rivière, c'est l'Azergue; toute la vallée qu'elle parcourt est entrecoupée de bouquets de bois, de riches vignobles, de plaines chargées de moissons de prairies; elle est fertilisée par une multitude de petits ruisseaux, qui, tantôt courent sur un lit de cailloux, puis tombent de rochers en rochers, et tantôt coulent paisiblement entre deux rives couvertes de fleurs. Que cette nature est pleine de majesté et de charme par une belle soirée d'été, lorsque la vallée est ensevelie dans un repos à peine troublé par le chant lointain du laboureur, lorsque la jolie rivière réflète dans ses eaux miroitantes les grands arbres de ses bords, la tour crénelée du château de Courbeville, le donjon de celui de Châtillon, ou la flèche majestueuse de son église ruinée, suspendue sur un précipice! Mais, dans la saison des orages, quand tous les versants des collines précipitent de noirs torrents dans son lit, ce n'est plus la paisible Azergue c’est un fleuve impétueux qui surmonte tous les obstacles, déracine et renverse les peupliers de ses rives, et parfois transporte à de longues distances, comme un témoignage de ses fureurs, les terres et les débris qu'il a enlevés sur sa route Au centre de la vallée, sur le penchant d'une colline d'où l’œil embrasse une vaste plaine, apparaissent, de loin en loin, les tours de Chazay, fièrement élevées au-dessus des villages voisins. Autrefois, la petite ville semblait une bonne suzeraine veillant sur ses vassaux groupés autour d'elle. Maintenant sa grandeur et sa gloire sont passées! Ses élégantes tourelles, ses forts remparts sont détruits! Quelques tours existent encore çà et là, comme pour témoigner de son ancienne puissance, et ranimer les regrets des amis du temps passé. Cependant, si Chazay a perdu ses tourelles gothiques, ses flèches élancées, ses créneaux, ses fossés avec leurs ponts-levis, ses hommes d'armes et tout son attirail guerrier, il se console par des beautés d'un autre genre. Il lui reste, en effet, la richesse et la fertilité de son sol, le charme saisissant de ses campagnes, le ravissant coup d’œil que la nature déploie autour de ses vieux murs. A ses pieds, l'Azergue serpente en longs détours dans la plaine; elle semble quitter à regret des rives enchantées, pour aller mêler ses eaux transparentes aux ondes troublées de la Saône. Un pont suspendu la franchit par une courbe élégante. En face, se montre, au milieu d'une fraîche oasis, le village de Marcilly; plus loin, Lissieu laisse à peine percer la tour de son église, au milieu d'un vaste rideau de bois et de vignobles; cette masse de verdure aux teintes variées, s'étend sur le flanc occidental du Mont-d'Or, depuis Poleymieux, aux lugubres souvenirs, jusqu'aux maisons de Limonest qu'on voit briller comme des points blancs sur l'émeraude des coteaux. A gauche de Chazay, l'on découvre Chasselay avec son château du règne de Philippe-Auguste, le joli village des Chères, l’amphithéâtre de la ville de Trévoux, et là l’ arête prolongée du plateau des Dombes, au pied duquel coule tranquillement la Saône. A droite, les toits rouges de Civrieux se détachent agréablement du fond de la plaine; Lozanne apparaît comme un petit village de la Suisse, et se mire dans l'Azergue comme dans les eaux limpides d'un lac; au-delà du confluent de la Brevenne, le vieux château de Châtillon élève, sur un escarpement, son front chauve et brûlé; puis, au fond du tableau, les montagnes bleues du Forez s’enfuient vers l'âpre Auvergne. Au Xllle siècle, l'abbé d'Ainay possédait déjà le fief de Chazay, et prenait. dans les actes, le titre de seigneur baron de Chazay - Le château et le fort étaient sa propriété, il y avait droit de toute justice. Comme messire l'abbé résidait dans son monastère, il envoyait à Chazay un châtelain, qui recevait pour lui les dîmes et redevances, accordait les privilèges et rendait la justice, aidé de quelques autres officiers. Le capitaine de la forteresse commandait, au nom de l’abbé les chevaliers, les hommes d'armes et les vassaux du fort. Nous avons vu, sous la date du 15 avril, de la quinzième année du règne de Charles V, une charte accordée à l’abbé d'Ainay, par laquelle le roi ordonne à tous les manants et bourgeois de Morancé, Marcilly, Lissieu, Lozanne, de venir sous peine de punitions corporelles, faire guet et garde à Chazay, toutes les fois qu'ils en seront requis par messire Hugues Spini, capitaine de la forteresse, parce que les Anglais occupent Arlat et les environs. Il est pareillement enjoint aux dits manants et bourgeois, en cas d'invasion et de siège, de se retirer, avec leurs familles, à Chazay où il y a place pour les loger. Cette ordonnance ne devait pas être inutile; les Anglais vinrent bientôt attaquer la ville, ils lui livrèrent plusieurs assauts, mais la vaillance des hommes d'armes et des habitants, la hauteur et la force des murailles la défendirent si bien, que les ennemis furent forcés de se retirer. A une époque très reculée, la ville de Chazay ne reconnaissait pas en entier l'autorité de l'abbé d'Ainay; une partie relevait du sire de Châtillon. Ce seigneur y avait aussi un château-fort, avec des hommes d'armes et des vassaux. La propriété de ce fief passa ensuite au chevalier de Sautefort, dont nous esquisserons l'histoire. La première année du règne de Charles V, il y avait à Chazay de grandes réjouissances pour fêter l'avènement de ce prince au trône de France. Tandis que les habitants s'étaient portés sur la place pour voir les tours des jongleurs, le feu prit au château qui fut embrasé en un moment. Bientôt des cris d'alarme retentissent : tout le monde se précipite de ce côté; à une tourelle élevée, deux femmes, les nobles châtelaines de Châtillon et de Chazay, poussaient des cris de désespoir et tendaient les bras à la foule épouvantée; mais personne n'osait s'exposer à une mort presque certaine, les appartements voisins étant déjà en flammes. Un pauvre jongleur, encore couvert du costume d'ours qu'il portait pendant les divertissements, n'écoutant que son courage et la voix de son cœur, saisit une échelle, passe par une fenêtre, et pénètre jusqu'aux deux dames qu'il parvient à sauver, au milieu des acclamations de toute la population. La vicomtesse de Châtillon et sa nièce forcèrent le jongleur, Théodore Sautefort, de recevoir une grosse somme d'argent, qu'il distribua aussitôt à ses camarades. La châtelaine, encore plus touchée de cet acte de désintéressement que de son courage, l’attacha à son service en qualité d'écuyer de bouche; et, lorsque son époux revint d'Angleterre, où il avait partagé la captivité du roi de France Jean Ier , elle raconta au noble sire comment elle devait la vie au généreux dévouement de Sautefort, et quel intérêt il lui inspirait. Châtillon reconnaissant nomma le jeune homme son écuyer, et l'emmena combattre les Anglais. La valeur de l'écuyer mérita les plus flatteurs éloges de Duguesclin; il fut fait chevalier par le bon connétable, et, au retour de ses campagnes. il épousa la nièce de Châtillon, la jeune dame qu'il avait sauvée de l'incendie, et qu'il aimait depuis longtemps en secret. La prospérité n'aveugle pas les nobles âmes. Sautefort, devenu sire de Chazay par son mariage, se ressouvint du temps de ses misères, et mit tout son bonheur à secourir les malheureux. S'il connaissait deux jeunes cœurs unis par les liens de l'amour, mais que tourmentait la cupidité d'un père, il comblait les désirs des amants, et se chargeait de la dot. Aussi, dit une ancienne chanson de Chazay : Filles qui n'ont vu
le Babouin, Lorsqu'un malheur subit venait frapper une pauvre famille, le sire de Sautefort, comme un ange consolateur, apparaissait pour sécher ses larmes. Il fit élever dans la ville un hôpital et plusieurs maisons de secours. A sa mort, tous les pauvres pleurèrent : mais le bon chevalier avait voulu que ses bienfaits lui survécussent. Il fonda une rente perpétuelle pour marier, chaque année, trois jeunes filles, choisies parmi les plus sages et les plus pauvres de Chazay. Cette rente subsiste encore; les biens qu'a légués cet homme vertueux , sont toujours affermés au bénéfice de la commune, mais l'autorité municipale a jugé préférable d'employer le produit qu'on en retire à secourir les malheureux. Pendant les quatre mois d'hiver, les indigents reçoivent des vêtements et tout ce qui leur est nécessaire en pain et en chauffage (Ces précieux renseignements, ainsi que beaucoup d'intéressants détails sur l'ancien Chazay, je les dois à l'amitié de M. Raimbourg, ex-maire de la commune.) Pleins de reconnaissance pour Sautefort, les habitants de sa seigneurie lui érigèrent une statue qui le représentait en costume guerrier, une lance à la main. Depuis deux ans, une nouvelle statue a remplacé celle que la main des siècles avait cruellement mutilée. Chaque année, à l'époque des vendanges, une fête remarquable attire à Chazay toutes les populations voisines pour la vogue du Babouin : c'est le nom que l'on a donné à la statue du guerrier, sans doute en souvenance de l'état de jongleur qu'il professait, lorsque, vêtu d'une peau d'ours, il sauva de l'incendie du château les Dames de Châtillon.
Une partie de Chazay devait s'étendre en dehors des fortifications vers l'Occident jusqu'au hameau du Mâs. On a découvert, en ce lieu, une foule d'ossements, des constructions antiques, un bassin circulaire, des flèches, des pierres taillées enfouies dans le sol. L'emplacement de ce cimetière appuie notre opinion du prolongement de la ville. En effet, tout le monde sait qu'au moyen-âge, c'était l'usage d'ensevelir les morts autour des églises et des chapelles. La religion semblait ainsi veiller sur le dernier asile de ses enfants. Les prières étaient plus ferventes, l'espérance plus vive, en présence des restes de ceux qu'on avait aimés. Toutes les rues de Chazay ressemblaient à celles des anciennes cités, c'est-à-dire qu'elles étaient tortueuses, longues et étroites. Le château des moines d'Ainay, contigu au fort Saint-André, paraissait comme enclavé dans les murailles de celui-ci. Ce château était situé sur la pente la plus rapide de la colline, il regardait la rivière d'Azergue. Trois grosses tours, percées de meurtrières et de barbacanes, lui servaient de rempart inexpugnable de ce côté. Devant cette façade, il existait deux rangs de terrassements en gradins, avec des murs garnis de meurtrières, et de plus chaque rempart était protégé par un fossé. Les tours des deux ailes étaient carrées et fort hautes; celle du milieu était ronde. Dans ses fondations, on avait creusé un cachot qu'on y voit encore; il est voûté et profond de dix-huit pieds. Les oubliettes n'avaient qu'une étroite ouverture, par laquelle on jetait les malheureux condamnés à la mort. Là, oubliés de tout le monde, ils périssaient de faim et de froid, sans pouvoir faire entendre au dehors leur voix suppliante. A gauche de cette tour, il y avait une poterne, sorte de porte basse et étroite qui servait pour les sorties; elle communiquait avec le rempart au moyen d'un pont-levis jeté sur le fossé. Toute cette partie des fortifications subsiste encore. Quatre grosses tours marquaient les angles du château. Elles étaient liées entre elles par de fortes murailles et des galeries crénelées Au centre s'élevait le beffroi, haute tour carrée qui dominait tout l'édifice avec des lucarnes aux quatre vents. Là, se trouvait placée la cloche d'alarme, pour rassembler, en cas de péril, les vassaux du seigneur et baron de Chazay. En face du beffroi, on remarquait une tourelle, chef-d’œuvre de délicatesse et de goût : elle s'élançait dans les airs sur un escalier en spirale, et se terminait par une flèche aiguë. C'était la demeure du seigneur châtelain ou du capitaine de Chazay. La pierre de son portail, gracieusement courbée, se tord et s'arrondit en une guirlande de feuilles de chêne semée de glands. La sculpture avait déployé toutes ses richesses pour l'embellir. Aussi ce qui en reste est-il remarquable par l'élégance et la légèreté du travail (C'est l’entrée de la maison de M. Denis.) Entre cette partie du château et la grande porte se trouvait placée l'église principale de Notre-Dame-de-Chazay. L'intérieur, moins le chœur, subsiste encore; c'est un morceau d'architecture romane lourd et massif; la voûte est supportée par d'énormes piliers sans ornements (on peut en voir les restes dans la cour du Pensionnat de jeunes gens.). Cette église avait trois tours. La plus importante, bâtie au-dessus du maître-autel, s élevait à une grande hauteur; elle était surmontée d'une flèche aiguë; les cloches y étaient placées. La seconde subsiste encore, elle était semblable à la première, mais dans de plus petites dimensions. Enfin, la petite tour, aujourd'hui détruite, était placée au-dessus du portail, lequel avait trois entrées. Ces deux derniers clochers n'avaient point de cloches. De là cet adage populaire, sous la forme d'un calembour que l'on retrouve, d'ailleurs, en beaucoup d'autres lieux : Chazay a trois clochers et deux cents cloches (deux sans cloches). Près du chœur de l'église, s'élevait aussi une haute tourelle à six pans, surmontée d'une flèche. On la voit encore en partie, c'était sans doute la demeure du chapelain. Au-dessus du portail de l'église, on remarque une antique fleur de lys du XlVe siècle, avec un écusson rasé, qui paraît représenter un berger couché devant un loup ou un lion qui emporte un agneau. Cette église Notre-Dame, quoique étant dans l'intérieur du château près de la grande porte, servait d'église paroissiale, en même temps qu'elle réunissait, pour le service divin, les moines et les hommes d'armes de la forteresse. Il y avait encore une autre église, mais elle n'avait ni tour ni clocher. Enfin, la porte du château était entourée de tous les moyens en usage pour la défense des places. Elle regardait la ville; sa charpente était du bois de chêne le plus dur, garni de solides barres de fer : deux tours crénelées la défendaient, en même temps qu'un fossé large et profond. Derrière cette entrée, et dans la crainte qu'elle ne vint à être surprise, on en avait construit une autre, au fond d'une petite cour carrée, percée partout de meurtrières dans des tours en saillie. Cette seconde porte était encore défendue par des barbacanes et des mâchicoulis, derrière lesquels les hommes d'armes faisaient pleuvoir de l'huile bouillante et de grosses pierres, tandis que les archers lançaient une grêle de traits. On peut encore voir cette porte, avec ses mâchicoulis; à son portail, on retrouve les vestiges de deux lions sculptés soutenant un écusson. A gauche du château se trouvaient de grands bâtiments, dans lesquels on distinguait la grande salle du manoir, qui servait pour les jours de fête et de réception, et la pièce où étaient déposées les armures et les armes de toute espèce du sire baron de Chazay. Une muraille, avec un fossé, ceignait entièrement le château proprement dit et le séparait de la forteresse. Le fort Saint-André était comme le complément du château ou plutôt le prolongement de ses fortifications. Il communiquait avec lui par la grande porte d'entrée auprès de l'église; avec la plaine, par la porte des Balmes; avec la ville, par la porte Saint-Michel Un fossé et un rempart l'environnaient entièrement. La porte des Balmes, aujourd'hui encore debout, était défendue par une haute tour carrée qui est à moitié rasée : c'est celle sur laquelle il y a présentement un balcon. Une tour ronde qui subsiste encore la défendait à droite. Au milieu de ce fort se trouvait une vaste place d'armes, destinée à la revue des troupes, à leur faire exécuter des manœuvres, à les exercer au tir de l'arbalète et à lancer des traits. Le château des sires de Châtillon, qui devint le domaine du chevalier de Sautefort, était situé au nord de la ville. Ses tourelles recevaient le soleil à l'orient. Il n'en reste plus qu'une tour fort élancée, percée de fenêtres, et adossée aux murs blanchis d'un café. Il y a vingt ans, on retrouvait encore deux portes, dont l’une, devait-être l'entrée principale de la demeure de cet homme bienfaisant. La ville de Chazay, comme nous l'avons dit plus haut, était environnée d'une muraille, avec des tours de distance en distance. Deux portes servaient pour ces communications : la porte du Nord détruite était tournée vers Morancé; l'autre est la vieille porte, toute fière aujourd'hui de porter la statue du Babouin. En face d'elle, de l'autre côté du fossé, il y avait aussi une autre porte; un pont-levis les réunissait. Enfin, Chazay possédait un second fort, qui lui servait de sentinelle avancée. Il était situé à la descente de la porte des Balmes, au lieu où existe présentement un moulin. On n'en retrouve d'autres vestiges qu'une grosse tour ronde, qui servait probablement de point d'observation. Cette ville aux vieux souvenirs a subi, en 93, le sort de tous les fiefs et de tous les biens des Religieux. Les Portions morcelées du château, du fort et des domaines du sire baron et abbé furent vendues. Les nouveaux propriétaires s'y pressèrent, chacun y bâtit sa demeure, et le castel se transforma en vingt maisons particulières; les hautes tourelles, les voûtes en ogive s'écroulèrent sous le marteau du macon. Cependant, malgré les orages et les tempêtes, le pieux souvenir du bon sire de Sautefort demeura toujours gravé dans le cœur des habitants. Pendant la révolution, deux grandes fêtes furent instituées en son honneur. Dans l'une, la statue du héros fut transformée en déesse de la liberté. Sa lance supportait un bonnet rouge avec cette devise: Les hommes sont égaux;
ce n'est point la naissance, La statue du Babouin défendit encore la ville en 1814. A l'approche de la nuit, un corps de 4oo Autrichiens marchait sur Chazay, jurant de le détruire, parce que le maire avait refusé de livrer la caisse des impositions. Leur chef, effrayé à la vue d'une sentinelle armée sur la muraille, croit avoir affaire à une ville de guerre, et, n'osant avancer, il bivouaque dans la plaine. Au point du jour, il reconnaît son erreur, mais la fraîcheur de la nuit avait calmé la fureur de ses soldats. Chazay fut sauvé du pillage.
Né à
Senlis le 3/01/1814 (extrait de : Album
du Lyonnais 1844 ) |